Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/57

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Elle dit, et nous le savons aussi bien qu’elle, qu’il a la mémoire surprenante, et l’imagination d’une vivacité extraordinaire.

Quels que soient ses autres vices, tout le monde rend témoignage, comme Madame Fortescue, que c’est un homme sobre ; et parmi toutes ses mauvaises qualités, le jeu, ce grand ennemi du bon emploi du temps et de la fortune, n’a jamais été son vice ; de sorte qu’il doit avoir la tête aussi froide et la raison aussi nette que la fleur de l’âge et sa gaieté naturelle le permettent ; et l’habitude qu’il a de se lever de bonne heure lui donne beaucoup de temps pour écrire, ou pour faire pis.

Madame Fortescue parle d’un de ses amis, avec lequel il est lié plus étroitement qu’avec tous les autres. Vous vous souvenez de ce que l’intendant congédié a dit de lui et de ses associés en général. Le portrait que cet homme a fait de lui me paraît assez juste. Madame Fortescue confirme ce qui regarde la frayeur où il tient toute sa famille. Elle croit aussi qu’il est quitte de toutes ses dettes, et qu’il n’en fera pas de nouvelles ; par le même motif, apparemment, qui lui fait éviter d’avoir obligation à ses proches.

Quelqu’un qui serait porté à juger favorablement de lui, se persuaderait volontiers qu’un homme brave, un homme éclairé et diligent, ne saurait être naturellement un méchant homme. Mais s’il vaut mieux que ses ennemis le prétendent (il serait bien méchant en effet, s’il étoit pire), on ne peut le laver d’une faute inexcusable, qui est d’avoir trop d’indifférence pour sa réputation. Ce défaut ne peut venir, à mon avis, que de l’une ou l’autre de ces deux raisons ; ou de ce qu’il sent au fond du cœur qu’il mérite tout le mal qu’on dit de lui ; ou de ce qu’il fait gloire de passer pour pire qu’il n’est : deux mauvais signes, et d’un augure effrayant, puisque le premier marque un caractère tout à fait abandonné ; et que ce qu’on peut conclure naturellement de l’autre, c’est qu’un homme qui n’a pas honte de ce qu’on lui impute, ne fera pas scrupule de s’en rendre coupable dans l’occasion.

Enfin, sur tout ce que j’ai pu recueillir de Madame Fortescue, M Lovelace me paraît un homme rempli de défauts. Vous et moi, nous l’avons cru trop vif, trop inconsidéré, trop téméraire, trop incapable d’hypocrisie, pour être profond. Vous voyez que, dans ses démêlés avec votre frère, il n’a jamais voulu déguiser son caractère naturel, qui est assurément fort hautain. Lorsqu’il croit devoir du mépris, il le pousse à l’excès. Il n’a pas même la complaisance d’épargner vos oncles.

Mais, fût-il profond, et le fût-il beaucoup, vous l’auriez bientôt pénétré, si vous étiez livrée à vous même. Sa vanité vous servirait à le démêler. Jamais homme n’en eut plus que lui. Cependant, suivant l’observation de Madame Fortescue, jamais on n’en tira parti plus heureusement. Elle est soutenue par un singulier mêlange de vivacité et d’enjouement. La moitié de ce qui lui échappe à son avantage, lorsqu’il est dans ses accès d’amour propre, rendrait tout autre homme insupportable.

Parler du loup, est un vieux proverbe. L’agréable fripon m’a fait une visite et ne fait que sortir d’ici. Ce n’est qu’impatience et ressentiment de la conduite qu’on tient avec vous, et crainte aussi qu’on ne parvienne à surmonter vos résolutions.

Je lui ai dit, comme je le pense, qu’on ne vous fera jamais consentir à prendre un homme tel que Solmes ; mais que l’affaire se terminera