Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/63

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que par ses yeux. Cette union produisit bientôt de la mésintelligence dans le reste de la famille. M Lovelace fut vu plus froidement de jour en jour. Comme il n’était pas homme à se rebuter de leurs grimaces, les affronts personnels succédèrent ; ensuite les défis, qui aboutirent à la malheureuse rencontre. Cet évènement acheva de tout rompre. Aujourd’hui, si je n’entre dans toutes leurs vues, on se propose de me contester l’héritage de mon grand-père ; et moi, qui n’ai jamais pensé à tirer le moindre avantage de l’indépendance où l’on "m’a mise, je dois être aussi dépendante de la volonté de mon père, qu’une fille qui ne sait pas ce qui lui est bon". C’est à présent le langage de la famille.

Mais si je me rends à leurs volontés, combien ne prétendent-ils pas que nous serons tous heureux ? Que de présens, que de bijoux ne dois-je pas recevoir de chacun de mes amis ? Et puis la fortune de M Solmes est si considérable, et ses offres si avantageuses, que j’aurai toujours le moyen de m’élever au dessus d’eux, quand les intentions de ceux qui veulent me favoriser demeureraient sans effet. Dans cette vue, on me trouve à présent un mérite et des qualités qui seront d’elles-mêmes un équivalent pour les grands avantages qu’il doit me faire, et qui mettront les obligations de son côté, comme ils feront profession de m’en avoir beaucoup du leur. On m’assure que c’est la manière dont il pense lui-même ; ce qui signifie qu’il doit être aussi abject à ses propres yeux, qu’à ceux de mes chers parens. Ces charmantes vues une fois remplies, que de richesses, que de splendeur dans toute notre famille ! Et moi, quels droits n’aurai-je pas sur leur reconnaissance ? Et pour faire tant d’heureux à la fois, que m’en coûtera-t-il ? Un seul acte de devoir, conforme à mon caractère et à mes principes ; du moins si je suis cette fille respectueuse et cette généreuse sœur pour laquelle j’ai toujours voulu passer.

Voilà le côté brillant qu’on présente à mon père et à mes oncles, pour captiver leur esprit. Mais j’appréhende bien que le dessein de mon frère et de ma sœur ne soit de me perdre absolument auprès d’eux. S’ils avoient d’autres intentions, n’auraient-ils pas employé, lorsque je suis revenue de chez vous, tout autre moyen que celui de la crainte, pour me faire entrer dans leurs mesures ? C’est une méthode qu’ils n’ont pas cessé de suivre depuis.

En même tems, l’ordre est donné à tous les domestiques de témoigner à M Solmes le plus profond respect. Le généreux M Solmes est un nom que la plupart commencent à lui donner. Mais ces ordres ne sont-ils pas un aveu tacite qu’on ne le croit pas propre à s’attirer du respect par lui-même ? Dans toutes ses visites, il est non-seulement aressé des maîtres, mais révéré comme une idole par tout ce qu’il y a de gens au service de la maison ; et le noble établissement est un mot qui court de bouche en bouche, et qui se répète comme par échos.

Quelle honte, de trouver de la noblesse dans les offres d’un homme dont l’ame est assez basse pour avouer qu’il hait sa propre famille, et assez méchante pour former le dessein de ravir de justes espérances à tous ses proches, qui n’ont que trop besoin de son secours, dans la vue non-seulement de mettre tous ses biens sur ma tête ; mais, si je meurs sans enfans, et s’il n’en a pas d’un autre mariage, de les abandonner à une famille qui en regorge déjà ! Car telles sont en effet ses offres. Quand je n’aurais pas d’autres raisons de le mépriser, en faudrait-il davantage que cette cruelle injustice qu’il fait à sa famille ? Un homme de rien ! Je ne