Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/85

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

assuré, ne me porte point à changer d’état ; que je ne puis me permettre plus long-temps cette correspondance clandestine avec lui : c’est une voie basse, lui dis-je, contraire au devoir, et qui porte un caractère de légèreté inexcusable : qu’il ne doit pas s’attendre par conséquent que je sois disposée à la continuer ".

à cette lettre, il répond, dans sa dernière, " que si je suis déterminée à rompre toute correspondance avec lui, il en doit conclure que c’est dans la vue de devenir la femme d’un homme qu’aucune femme bien née ne regardera jamais comme un parti supportable ; et que, dans cette supposition, je dois lui pardonner, s’il déclare qu’il ne sera jamais capable de consentir à la perte absolue d’une personne dans laquelle il a mis toutes ses espérances de bonheur, ni de soutenir avec patience l’insolent triomphe de mon frère ; mais qu’il ne pense point à menacer la vie de personne, ou sa propre vie : qu’il remet à prendre ses résolutions lorsqu’il y sera forcé par un si terrible évènement ; que, s’il apprend qu’on dispose de moi avec mon consentement, il s’efforcera sans doute de se soumettre à sa destinée ; mais que, si la violence y est employée, il ne sera pas capable de répondre des suites ". Mon dessein est de vous envoyer ces lettres dans quelques jours. Je les mettrais aujourd’hui sous mon enveloppe ; mais il peut arriver qu’après me les avoir rendues, ma mère souhaite de les lire encore une fois. Vous verrez, ma chère, comment il s’efforce de m’engager à la continuation de cette correspondance.

Ma mère est revenue après une heure d’absence. Prenez vos lettres, Clary. Je n’ai rien à vous reprocher du côté de la discrétion dans les termes. J’y trouve même une sorte de dignité, et rien qui ne soit dans l’exacte bienséance. Et vous vous êtes ressentie, comme vous le deviez, de ses invectives et de ses menaces. Mais, après une haine si déclarée d’une part, et des bravades si peu ménagées de l’autre, pouvez-vous penser que ce parti vous convienne ?… pouvez-vous penser qu’il soit à propos d’encourager les vues d’un homme qui s’est battu en duel avec votre frère, quelles que soient sa fortune et ses protestations ?

Non, madame, et vous aurez la bonté d’observer que je le lui ai dit à lui-même. Mais à présent, madame, toute la correspondance est devant vos yeux, et je vous demande vos ordres sur la conduite que je dois tenir dans une situation si désagréable.

Je vous ferai un aveu, Clary ; mais je vous recommande, autant que vous seriez fâchée que je doutasse de la générosité de votre cœur, de n’en prendre aucun avantage. Je suis si satisfaite de la manière libre et confiante avec laquelle vous m’avez offert vos clefs, et de la prudence que j’ai remarquée dans vos lettres, que, si je pouvais faire entrer tout le monde, ou votre père seulement, dans mon opinion, j’abandonnerais volontiers tout le reste à votre discrétion, en me réservant à l’avenir la conduite de vos lettres et le soin de vous faire rompre cette correspondance aussi-tôt qu’il sera possible. Mais, comme il ne faut rien espérer de ce côté là, et que votre père ne serait pas traitable, s’il venait à découvrir que vous avez quelque relation avec M Lovelace, ou que vous en avez eu depuis qu’il vous l’a défendu, je vous défends aussi de continuer cette liberté. Cependant il faut convenir que le cas est difficile. Je vous demande ce que vous en pensez vous-même. Votre cœur est libre, dites-vous. De votre propre aveu, les circonstances ne permettent pas de