Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/118

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de le voir demain aussi-tôt qu’il le souhaitera, ou de déjeûner même avec lui. Dorcas dit qu’il est furieux. Je l’ai entendu parler fort haut, et gronder tous les domestiques. Vous m’avez dit, ma chère, dans une de vos lettres, que lorsque votre mère vous chagrine, vous avez besoin de quelqu’un que vous puissiez quereller. Je serais bien fâchée de faire une mauvaise comparaison ; mais l’effet des passions auxquelles on ne résiste point, est le même dans les deux sexes. Il m’envoie dire, à ce moment, qu’il compte souper avec moi. Comme nous avons passé plusieurs jours en assez bonne intelligence, je crois qu’il ne serait pas prudent de rompre pour une bagatelle. Cependant il est bien dur de se voir comme forcée, sans cesse, de renoncer à ses résolutions. Pendant que j’étais à délibérer, il est monté ; et frappant à ma porte, il m’a dit, d’un ton chagrin, qu’il me verrait absolument le soir, et qu’il ne me laisserait pas en repos, jusqu’à ce qu’il sût de moi ce qu’il avait fait pour mériter ce traitement. Il faut que je le satisfasse. Peut-être n’a-t-il rien de nouveau à me dire. Je serai de fort mauvaise humeur avec lui. " il est bien mortifiant, m’a répondu la perverse, de me voir si peu maîtresse de moi-même. Je descendrai dans une demi-heure. " il a fallu revenir sur mes pas, et passer cette demi-heure à l’attendre. Toutes les femmes m’ont excité vivement à lui donner sujet de me traiter avec cette rigueur. Elles m’ont prouvé, par la nature de leur sexe et par celle des circonstances, que je ne devais rien espérer de ma soumission, et que je n’avais rien à craindre de pis, en me rendant coupable de la dernière offense. Elles m’ont pressé d’essayer du moins quelques familiarités plus hardies, pour voir quel en serait l’effet ; et leurs raisons étant fortifiées par le ressentiment de mes découvertes, j’étais résolu de prendre quelques libertés, d’aller plus loin, suivant la manière dont elles seraient reçues, et de rejeter toute la faute sur sa tyrannie. Après m’être affermi dans cette résolution, je me suis mis à me promener dans la salle à manger, pour observer son arrivée : mais j’ai senti de l’embarras dans les jambes : jamais paralytique n’eut si peu d’empire sur ses mouvemens. Elle est entrée avec cet air de noblesse que tu lui connais, la tête haute, mais le visage un peu tourné ; son sein dans une charmante agitation, que cette attitude même rendait plus sensible. ô Belford, comment se fait-il que l’humeur chagrine et l’air de réserve donnent de nouveaux charmes à cette fille hautaine ? Mais la beauté perd-elle jamais son empire ? J’ai remarqué tout d’un coup que cette chère insolente était disposée à se fâcher. L’air sombre que j’ai affecté lorsque ma main tremblante a saisi la sienne, lui a fait craindre aussi que je ne fusse capable de quelque violence. Mais je n’ai pas plutôt attaché ma vue sur elle, que je me suis senti le cœur pénétré d’amour et de respect. Assurément, Belford,