Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/125

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Lundi, à deux heures. Ma déesse n’est point encore visible. Sa santé n’est pas la meilleure du monde. Qu’a-t-elle donc pu craindre de mes transports d’admiration ? De la rudesse, plutôt que de la vengeance. Grand sujet d’altération pour sa santé ! Cependant le désir de me venger n’est pas éteint. J’ai besoin de quelque coup de maître, pour faire repentir Miss Howe et Madame Towsend de leur maudit projet, qui sera toujours une épée suspendue sur ma tête, si je ne trouve pas le moyen de le faire avorter. Le moindre mécontentement donnera des ailes à ma charmante ; et toutes les peines que j’ai prises, pour la priver de toute autre protection, et la rendre plus dépendante de moi, deviendront inutiles. Mais je saurai trouver un contrebandier , pour l’opposer à Madame Towsend. Tu te souviens de la dispute du soleil et du vent du nord, dans la fable. Il étoit question de savoir qui des deux forcerait le premier un honnête voyageur de quitter son habit. Borée commença. Il se mit à souffler de toutes ses forces ; et la glace de son souffle causa beaucoup de mal au pauvre diable, mais sans autre effet que de lui faire boutonner son manteau, pour s’envelopper plus soigneusement. Phébus, lorsque son tour fut venu, fit jouer si vivement ses rayons sur le pélerin, qu’il l’obligea d’abord de se déboutonner, et bientôt de se dépouiller tout-à-fait. Il ne quitta prise, qu’après l’avoir mis dans la nécessité de chercher de l’ombre sous des feuillages épais, où, s’étendant sur son habit qu’il avait quitté, il rétablit ses forces par quelques heures de sommeil. Le vainqueur, ayant beaucoup ri de Borée et du voyageur, continua sa course brillante, répandant son éclat et sa chaleur sur tous les objets qui s’offrirent à lui ; et le soir, après avoir dételé ses fiers coursiers, il amusa sa Thétis par le récit de son aventure. Voilà mon modèle. Je veux, Belford, renoncer à toutes mes inventions orageuses ; et si je puis obliger ma chère pélerine de quitter un moment le manteau de sa rigide vertu, je n’aurai, comme le soleil, que des bénédictions continuelles à répandre par mes rayons. Mes heures de repos et de félicité, comme les siennes, seront celles que je passerai avec ma déesse. à présent, Belford, pour suivre mon nouveau systême, je crois que cette maison de Madame Fretchville est un embarras pour moi. Je veux m’en délivrer, pour quelque temps du moins. Mennel prendra le moment où je serai sorti, pour rendre une visite à ma déesse, en feignant d’avoir demandé d’abord à me voir. Pourquoi ? Dans quelle vue ? N’est-ce pas la question que tu me fais ? Pourquoi ! Tu ne sais donc pas ce qui est arrivé à cette pauvre Madame Fretchville ? Je vais te l’apprendre. Une de ses femmes fut attaquée, il y a huit jours, de la petite vérole. Les autres cachèrent cet accident à leur maîtresse jusqu’à vendredi, qu’elle en fut informée par hasard. La plus grande partie des fléaux de notre pauvre condition mortelle vient de nos domestiques, que nous prenons moitié par ostentation, moitié pour notre usage, et dans la vue de diminuer nos peines. Cette nouvelle a causé tant d’épouvante à la veuve, qu’elle est prise elle-même de tous les symptômes qui annoncent une attaque de cette terrible ennemie des beaux visages. Elle ne peut plus penser par conséquent à