Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/126

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quitter sa maison. Mais elle ne doit pas espérer, non plus, que nous attendions éternellement pour l’amour d’elle. Elle regrette à présent, de tout son cœur, de n’avoir pas mieux connu ce qu’elle désirait, et de n’être pas partie pour sa campagne lorsque j’ai commencé à traiter pour sa maison. Ce fatal accident ne lui serait point arrivé. Mais n’est-il pas bien fâcheux aussi pour nous ? Hélas ! Hélas ! Cette vie mortelle n’est composée que de malheurs. Il n’est pas besoin de nous en attirer nous-mêmes, par notre propre pétulance. Ainsi l’affaire de cette maison est finie, du moins pour un tems. Mais ce contre-tems m’oblige d’imaginer quelque expédient qui puisse le réparer. Puisque je suis réduit à marcher lentement, pour rendre ma marche sûre, j’ai dans la tête deux ou trois inventions charmantes, qui seraient capables même de ramener ma belle, quand elle trouverait le moyen de m’échapper. Qu’est devenu Milord M qui ne m’écrit pas pour répondre à mon invitation ? Si je recevais de lui une lettre que je pusse montrer, ce serait le moyen d’avancer beaucoup ma réconciliation. J’ai pris le parti d’en écrire deux mots à Miss Charlotte. S’il ne se hâte pas de me répondre, il aura bientôt de mes nouvelles, et par des voies qui ne lui seront point agréables. Tu sais qu’il m’a quelquefois menacé de me déshériter : mais si je le renonçais pour mon oncle, je ne ferais que lui rendre justice, et je lui causerais plus de chagrin, que tout ce qu’il peut faire de pis contre moi ne m’en causera jamais. Sa négligence diffère nécessairement la conclusion des articles. Comment puis-je supporter ce délai, moi, qui pour l’exercice de mes volontés, pour l’impatience, et pour bien d’autres choses, suis une véritable femme, et qui ne puis souffrir, plus que la meilleure de ce sexe, qu’on me manque ou qu’on me contredise. Autre lettre de Miss Howe. Je suppose que c’est celle qui était annoncée dans sa dernière, et qui regarde les propositions de mariage du vieil oncle Antonin à Madame Howe. Il ne sera plus question, j’espère, du complot de contrebande. On m’apprend que ma charmante l’a mise dans sa poche. Mais je me flatte que je ne serai pas long-temps sans la trouver au dépôt, avec toutes les autres. Lundi au soir. Mes instances redoublées l’ont fait consentir à me voir dans la salle ordinaire, à l’heure du thé, et pas plutôt. Elle est entrée avec un air d’embarras, si j’en ai bien jugé, et comme un peu confuse d’avoir porté trop loin ses alarmes. Elle s’est avancée lentement, et les yeux baissés, vers la table ; Dorcas présente, et s’employant aux préparatifs du thé. J’ai pris sa main, qu’elle s’est efforcée de retirer ; et la pressant de mes lèvres : " cher objet de mes adorations ! Pourquoi cette distance, lui ai-je dit ; pourquoi ces marques de chagrin ? Quel plaisir prenez-vous à tourmenter si cruellement le plus fidèle de tous les cœurs " ? Elle a dégagé sa main. J’ai voulu la reprendre. Laissez-moi, en la retirant avec dépit. Elle s’est assise. Une douce palpitation, que j’ai remarquée au travers de tous ses charmes, m’a fait pénétrer ce qui se passait dans son ame. Le mouchoir, qui cachait son sein, se levait et se baissait avec un mouvement précipité. Ses joues charmantes étoient couvertes d’une aimable rougeur.