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Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/179

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cœur, livré à lui-même, avec la liberté de suivre ses propres mouvemens), lorsque cette chère mère prendra plaisir encore à me serrer contre son sein ! Lorsque j’aurai retrouvé des oncles, des tantes, un frère, une sœur, tous empressés à me combler de caresses ! Et vous-même, M Lovelace, témoin de ce doux spectacle, reçu, vu de bon oeil dans une famille qui m’est si chère !… quoique d’abord, peut-être, avec un peu de froideur… mais lorsqu’ils vous connaîtront mieux, qu’ils vous verront plus souvent, qu’ils n’auront plus aucun sujet de plainte, et que vous aurez pris, comme j’ose l’espérer, un nouvel ordre de conduite, de jour en jour l’affection ne fera plus que s’échauffer mutuellement, jusqu’à ce qu’à la fin tout le monde sera étonné d’avoir pu concevoir d’autres sentimens pour vous. Ensuite, essuyant ses yeux de son mouchoir, elle s’est arrêtée un moment ; et, tout d’un coup, faisant réflexion sans doute que sa joie l’avait conduite à m’exprimer des sentimens qu’elle n’avait pas eu dessein de me laisser voir, elle s’est retirée dans sa chambre avec précipitation, tandis que je suis resté dans un désordre presque égal au sien. En un mot, j’étais… je ne trouve point de terme pour t’exprimer ce que j’étais. Je me suis déjà senti fort ému dans une autre occasion. Cette beauté toute puissante avait déjà rendu mes yeux humides. Mais de ma vie je n’ai été si vivement touché ; car, en m’efforçant de vaincre ce mouvement de sensibilité, je ne m’en suis pas trouvé la force. Je n’ai pu même retenir un sanglot. Oui, je te l’avoue, il m’en est échappé un qu’elle doit avoir entendu ; et j’ai été forcé de tourner le visage avant qu’elle eût fini cet attendrissant discours. à présent que je t’ai fait l’aveu de cette bizarre sensation, je voudrais pouvoir te la décrire. C’était quelque chose de si nouveau pour moi… quelque chose d’étouffant qui me serrait le gosier… je ne sais comment cela m’est arrivé ; mais quoique je me le rappelle avec un peu de confusion, je dois convenir que cette situation n’était pas désagréable ; et je souhaiterais de l’éprouver encore une fois pour être capable de t’en donner une idée plus juste. Mais l’effet de sa joie dans cette occasion me fait prendre une haute idée du pouvoir de la vertu, (quel autre nom puis-je lui donner ?) qui, dans une ame si capable d’un transport délicat, a la force de rendre une fille de cet âge aussi froide que la neige et la glace, pour toutes les avances d’un homme qu’elle ne hait pas. Ce doit être un effet de l’éducation. Qu’en penses-tu, Belford ? L’éducation peut-elle avoir plus de force que la nature dans le cœur d’une femme ? Non, je ne saurais le croire. Mais c’est une vérité néanmoins que les parens ont raison de cultiver l’ame de leurs filles, et de leur inspirer des principes de réserve et de défiance pour notre sexe. Qu’il y a de sagesse même à leur donner une haute idée du leur ! Car l’orgueil, je te l’apprends, est un excellent substitut, dans une ame où la vertu ne brille pas, comme le soleil, de son éclat propre et non emprunté.