Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/178

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La divine fille m’a témoigné sa reconnaissance par ses yeux, avant que ses lèvres aient pu lui servir à l’exprimer. ô M Lovelace ! M’a-t-elle dit, que vous savez bien… elle s’est arrêtée. Le capitaine ne m’a pas épargné les louanges. Il était réellement touché. Pourquoi la vengeance, me suis-je dit à moi-même, est-elle mêlée dans mon cœur avec l’amour ? Mais revenant à ma vieille apologie, ne suis-je pas le maître, ai-je ajouté, de lui faire en tout tems une ample réparation ? N’est-ce pas à présent la saison de l’épreuve ? Si je pouvais seulement lui faire abandonner ses défiances ! Si je la voyais disposée à s’abandonner à moi pour quinze jours, quinze jours seulement, d’une vie telle que je l’aime. Qu’arriverait-il ? Eh bien, quoi !… je ne sais pas trop bien. Mais enfin… ne prends pas droit, Belford, de l’inconstance de mes idées pour me mépriser. Peut-être ne t’ai-je pas écrit deux lettres où tu m’aies trouvé d’accord avec moi-même. Quelle constance demandes-tu à des gens de notre caractère ? Mais l’amour me rend fou. La vengeance m’éguillonne. Mes propres inventions m’embarrassent. Mon orgueil fait ma punition. Je suis tiré de cinq ou six côtés tout à la fois. Il est impossible que Clarisse soit aussi malheureuse que moi. Ah ! Pourquoi, pourquoi est-elle la plus excellente de toutes les femmes ? Cependant, suis-je sûr qu’elle le soit ? Quelles ont été ses épreuves ? Ai-je eu le courage d’en faire une seule sur sa personne, quoique j’en aie fait cinquante sur son humeur ? Assez de celles-ci, je crois, pour lui faire craindre à l’avenir de me désobliger jamais. Loin, loin les réflexions, ou je suis un homme perdu. Depuis deux heures, mes inventions me rendent odieux à mes propres yeux, non-seulement par rapport à ce que je t’ai déjà raconté, mais pour mille choses dont il me reste à te rendre compte. Cependant, je suis parvenu encore une fois à m’endurcir le cœur. Ma vengeance est aussi enflammée qu’elle puisse l’être. Je viens de relire quelques-unes des injurieuses lettres de Miss Howe. Je ne puis soutenir le mépris avec lequel ces deux filles m’ont traité. Ma charmante a confessé que notre déjeûner était le plus heureux qu’elle ait connu depuis qu’elle a quitté la maison de son père. Elle aurait pu s’épargner cette réflexion. Le capitaine a renouvelé toutes ses protestations de service. Il m’a promis de m’écrire comment son cher ami aura reçu la description qu’il lui fera de l’heureux état de nos affaires, et ce qu’il aura pensé des articles, aussi-tôt que j’aurai pris la peine de les envoyer. Nous nous sommes quittés avec de vifs témoignages d’une mutuelle estime ; et ma belle a fait des vœux ardens pour le succès d’une si généreuse médiation. Lorsque j’ai reparu devant elle, après avoir conduit le capitaine aussi loin qu’il l’a voulu souffrir, j’ai vu règner la complaisance dans chacun de ses aimables traits. Vous me voyez déjà toute autre, m’a-t-elle dit. Ah ! M Lovelace, vous ne savez pas combien j’ai cette réconciliation à cœur. Je veux effacer jusqu’à la moindre trace des fâcheux souvenirs. Il m’est impossible de vous dire combien vous m’avez obligée. Que je serai heureuse, lorsque j’aurai le cœur soulagé du fardeau insupportable de la malédiction d’un père ! Lorsque ma tendre mère (vous ne connaissez pas, monsieur, la moitié du mérite de ma mère, et quelle est la bonté de son