Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/20

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qu’il y eût au monde des gens de notre espèce. Quel plaisir n’aurai-je pas d’observer son étonnement, lorsqu’elle se verra dans une compagnie si nouvelle, et qu’elle me trouvera le plus poli des cinq convives " ? Ces instructions suffisent. Il me semble, à présent, que tu es curieux de savoir quelles peuvent être mes vues, en risquant de déplaire à ma belle et de lui inspirer des craintes, après trois ou quatre jours de paix et de confiance. Il faut satisfaire ta curiosité. J’aurai soin de ménager aux deux nièces la visite imprévue de quelques femmes de province, qui rempliront la maison. Les lits seront rares. Miss Partington, qui se sera fait connaître pour une fille douce et modeste, et qui aura marqué un goût prodigieux pour ma charmante, témoignera beaucoup d’envie de commencer avec elle une liaison d’amitié. On sera long-temps à table. Elle lui demandera la moitié de son lit, pour une nuit seulement. Qui sait si cette nuit même je ne serai pas assez heureux pour me rendre coupable d’une mortelle offense ? Les oiseaux les plus sauvages se laissent prendre en dormant. Si ma charmante s’offense assez pour vouloir me fuir, ne puis-je pas l’arrêter malgré elle ? Si ma charmante m’échappe en effet, ne serai-je pas le maître de la ramener par autorité civile

ou incivile , lorsque j’aurai preuves sur preuves qu’elle a reconnu, quoique tacitement, notre mariage ? Et, soit que je réussisse ou non, si j’obtiens du moins qu’elle me pardonne, si sa fureur se borne aux plaintes, et si je m’aperçois seulement qu’elle puisse soutenir ma vue, ne suis-je pas sûr qu’elle est tout-à-fait à moi ? Ma charmante est la délicatesse même. Je suis impatient de voir comment une personne si délicate se conduira dans l’une ou l’autre de ces suppositions : et tu conviendras que, dans la situation où je me trouve, il est juste que je me précautionne contre toutes sortes d’accidens. Je connais l’ anguille que j’ai à retenir, et combien il est à craindre qu’elle n’échappe entre mes doigts. De quel air niais ouvrirais-je la bouche et les yeux, si je la voyais sauter de mes mains dans sa rivière bourbeuse ; je veux dire, dans sa famille, d’où j’ai eu tant de peine à la tirer ? Voyons : laisse-moi compter combien j’aurai de personnes, après la nuit du lundi, qui seront en état de jurer qu’elle a porté mon nom, qu’elle a répondu à mon nom, et qu’elle n’a point eu d’autre vue, en quittant ses amis, que de prendre sérieusement mon nom, sans que sa propre famille puisse le désavouer ? Premièrement, je puis faire fond sur tous mes gens, sur sa servante Dorcas, sur Madame Sinclair, ses deux nièces et Miss Partington. Mais, comme tous ces témoins pourraient être suspects, voici le point capital. " quatre dignes officiers, nobles de personne et d’origine, invités tel jour à une collation par Robert Lovelace de Sandon-hall, écuyer ; en compagnie de Madelaine De Sinclair, veuve ; de Priscille Partington, fille nubille, et de la dame complaignante, déposent, que ledit Robert Lovelace s’est adressé plusieurs fois à ladite dame comme à sa femme ; qu’ils se sont adressés à elle, eux et d’autres, en qualité de Madame Lovelace, chacun lui faisant des complimens et des félicitations sur son mariage ; que ces complimens et ces félicitations, elle les a reçus sans autres marques de déplaisir et de répugnance, que celles qui sont ordinaires aux jeunes mariées, c’est-à-dire avec un peu de rougeur et d’agréable confusion, qu’on pouvait attribuer à l’embarras naturel dans ces circonstances ". Point d’emportemens, Belford, point de révolte contre ton