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Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/21

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chef. T’imagines-tu que j’aie amené ici cette chère personne pour n’en tirer aucun fruit ? Voilà une foible esquisse de mon plan. Applaudissez-moi, esprits subalternes, et reconnaissez Lovelace pour votre maître.



M Lovelace à M Belford.

dimanche, 30 avril. J’ai été à l’église, Belford. Apprends même que je m’y suis admirablement conduit. Ma déesse est contente de moi. J’ai donné une attention parfaite au sermon, et j’ai chanté de toutes mes forces avec le clergé et les paroissiens. Mes yeux ne se sont pas trop égarés. Comment aurais-je eu peine à les gouverner, lorsqu’ils avoient devant eux le plus charmant et le plus aimable objet de l’univers ? Chère créature ! Que de ferveur, que de charmes dans sa piété ! Je lui ai fait avouer qu’elle avait prié pour moi. En vérité, j’espère que les prières d’une si belle ame ne seront pas sans effet. Au fond, Belford, il y a quelque chose d’imposant dans le culte de la religion. Le dimanche est une institution charmante, pour soutenir la vertu dans les cœurs vertueux. Un jour sur sept ; que cette loi est raisonnable ! Je crois qu’à la fin je serai capable d’aller une fois le jour à l’église. Ma réformation en ira plus vîte. Voir une multitude d’honnêtes gens qui se réunissent dans le même acte d’adoration ! C’est l’exercice d’un être qui pense et qui sent. Cependant cette idée ajoute quelques pointes à mes remords, lorsque je veux m’occuper de mes projets. De bonne foi, je crois que, si j’allais constamment à l’église, je pourrais les abandonner. Il m’est venu de nouvelles inventions à la tête pendant le service divin : mais j’y renonce, parce qu’elles sont nées dans un si bon lieu. Excellente Clarisse ! Combien de ruines n’a-t-elle pas prévenues en m’attachant à elle, en remplissant toute mon attention ? Mais je veux te raconter ce qui s’est passé entre nous, dans ma première visite du matin : et je te ferai ensuite une peinture plus exacte de ma bonne conduite à l’église. La permission de la voir ne m’a point été accordée avant huit heures. Elle était préparée pour sortir. J’ai feint d’ignorer son intention ; et j’avais recommandé à Dorcas de ne pas lui dire qu’elle m’en eût informé. Vous allez sortir, mademoiselle ? Lui ai-je dit, d’un air indifférent. Oui, monsieur ; j’ai dessein d’aller à l’église. J’espère, mademoiselle, que vous m’accorderez l’honneur de vous y accompagner. Non. Elle allait prendre une chaise à porteurs, et se rendre à l’église voisine. Ce discours m’a fait tressaillir. Une chaise pour aller à l’église voisine de chez Madame Sinclair, dont le vrai nom n’est pas Sinclair ; et pour la ramener, à la vue de tout le peuple, qui ne doit pas avoir une trop bonne idée de la maison ! Il n’y avait pas moyen d’y consentir. Cependant, j’avais à soutenir mon rôle d’indifférence. Je lui ai dit que je regarderais comme une faveur, qu’elle voulût me permettre de prendre un carrosse, et de l’accompagner à saint-Paul.