Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/242

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sa fureur, ne souhaite pas d’en être exempt. Il a dépendu

long-temps d’elle. Toute sa joie serait de lui avoir plus d’obligation qu’il ne peut s’en vanter jusqu’à présent. Elle parle de l’imprécation de son père . N’ai-je pas rendu cent fois le change à ce vieux tyran ? D’ailleurs, pourquoi fait-elle tomber sur moi les fautes d’autrui ? N’ai-je pas assez des miennes ? Mais je commence à découvrir les premiers rayons du jour. Reprenons en deux mots : la lettre de cette chère personne est un recueil d’invectives qui ne sont pas nouvelles pour moi, quoique l’occasion de les employer puisse l’être pour elle. J’y remarque un peu de contradiction romanesque. Elle aime ; elle hait ; elle m’encourage à pousser mon entreprise, en me faisant remarquer que j’en ai le pouvoir ; tandis qu’elle me supplie de n’en point user. Elle appréhende l’indigence, et n’en est pas moins résolue d’abandonner sa terre ; en faveur de qui ? De ceux qui ont causé toutes ses disgrâces. Enfin, quoiqu’elle ne veuille jamais être à moi, elle a quelque regret de me quitter, parce qu’elle voit des apparences d’ouverture pour se réconcilier avec ses amis. Mais jamais l’aurore ne fut si paresseuse. Le carrosse se fait attendre aussi. Un gentilhomme qui demande à me voir, Dorcas ? Eh ! Qui peut avoir besoin de moi si matin. M Tomlinson, dis-tu ? Assurément cet homme-là doit avoir marché toute la nuit. Mais comment a-t-il pu se promettre de me trouver déjà levé ? N’importe. Que le carrosse arrive seulement. Le capitaine, qui est la bonté même, ne fera pas difficulté de m’accompagner jusqu’au bas de la colline, quand il devrait être obligé de revenir à pied. Ainsi, sans perdre un moment, je pourrai l’entendre, et lui expliquer mes idées. Fort bien, je commence à croire que cette fuite rebelle pourra tourner à mon avantage ; comme les révoltes, dans un état, tournent presque toujours au profit du souverain. Cher capitaine ! Quelle joie j’ai de vous voir ! Vous ne pouviez arriver plus à propos ! " voyez, voyez l’aurore qui vient ouvrir la porte du jour avec ses doigts de rose, et la nuit qui se dérobe à l’approche du père de la lumière ". Pardon, monsieur, si je vous salue en style poétique. Celui qui se lève avec l’alouette, chantera comme elle. Que d’étranges nouvelles, capitaine, depuis que je ne vous ai vu ! Imprudente Clarisse ! Mais je vous connais trop de bonté pour révéler à M Jules Harlove les erreurs de cette beauté capricieuse ! Elles peuvent se réparer. Il faut que vous preniez la peine de m’accompagner une partie du chemin. Je sais que votre plus grande satisfaction est de concilier les différens. C’est l’office de la prudence, de remédier aux témérités de l’imprudence et de la folie. Mais le repos et le silence règnent encore autour de moi… qu’entends-je ? C’est le bruit d’un carrosse qui retentit dans l’éloignement. Je pars. Je vais revoir ma charmante, mon ange, mon idole ! Dieu d’amour ! Ah ! C’est de ta gloire qu’il est question. Récompense, comme tu le dois, mes peines et ma constance. Seconde mes efforts, pour ramener sous ton empire cette charmante fugitive. Fais-lui reconnaître sa témérité ! Qu’elle se repente de ses insultes ; qu’elle implore ma bonté ; qu’elle me demande de la recevoir en grâce, et d’ensévelir dans l’oubli l’odieux souvenir de ses offenses