Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/243

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contre toi, son maître et le mien ; contre moi, le plus fidèle et le plus volontaire des esclaves. Enfin, le carrosse est à la porte… je suis à vous. J’y vole… passez, cher capitaine ; je vous suis… de grâce, abrégeons les civilités. Que dis-tu, Belford, de ce prologue, et de toutes les extravagances de ma joie ? Enfin,

paré comme un jour de noce, le cœur enflé de désir et d’espérance, suivi d’un laquais que ma belle n’a jamais vu, je pars pour Hamstead, et je m’y crois déjà.



M Lovelace, à M Belford.

à Hamstead, vendredi 9 juin, à sept heures du matin. C’est d’Hamstead, cher ami, c’est de l’hôtellerie du coche que je t’écris. J’y suis depuis plus d’une heure. Quel esprit industrieux j’ai reçu de la nature ! On ne me reprochera pas de m’endormir dans l’oisiveté. Le plaisir me coûte cher. En vérité, je m’admire quelquefois moi-même. Avec une ame si active, j’aurais fait une figure éclatante, dans quelque état que le ciel m’eût placé. Sur le trône, j’aurais été, sans doute, un des plus grands rois du monde. J’aurais disputé le titre de conquérant au fameux macédonien. J’aurais entassé couronnes sur couronnes, et dépouillé tous mes voisins, pour mériter le nom de Robert Le Grand . J’aurais fait la guerre au turc, au persan, au mogol, pour leurs sérails ; et je n’aurais pas laissé, à tous ces monarques orientaux, une jolie femme sur laquelle je n’eusse assuré mes droits. Après avoir pris toutes les informations qui conviennent à mes vues, il me reste tant de loisir, que je puis l’employer à t’écrire. Cependant je me servirai de ma méthode d’abréviation, pour ménager le tems. Quoiqu’il soit encore trop tôt pour me présenter à ma charmante, qui a besoin de repos, après deux ou trois jours de fatigue, je te dois quantité d’éclaircissemens préliminaires, sans lesquels tu n’entrerais pas facilement dans l’ordre de mes opérations. Je me suis séparé du capitaine au pied de la colline, et je l’ai laissé triplement instruit ; c’est-à-dire, pour les trois suppositions du fait, du probable et du possible. Si je puis revoir ma charmante, et faire ma paix avec elle, sans la médiation de ce digne conciliateur, je m’en rejouirai beaucoup. C’est mon ancienne maxime en amour, d’y employer le moins de secours étrangers qu’il m’est possible ; et je regrette aujourd’hui de ne pouvoir me tenir à cette règle. Qui sçait même si ma charmante ne s’en trouverait pas mieux ? Je ne puis lui pardonner d’avoir poussé l’indifférence pour moi jusqu’à m’abandonner réellement, sous un prétexte frivole, ou plutôt sans aucune apparence de raison. Si je la trouve trop difficile… ! Mais suspendons les menaces jusqu’à ce qu’elle soit en mon pouvoir. Tu sçais quel est mon serment. Voici toutes les circonstances que j’ai pu recueillir du récit de Will, de celui des gens de l’hôtellerie, et des informations que Will a tirées du cocher. Le coche d’Hamstead n’avait encore que deux personnes, lorsque ma belle y est montée. Mais elle a feint d’être fort pressée ; et payant pour les places vacantes, elle a fait partir aussitôt la voiture. En arrivant au terme, elle est descendue à l’hôtellerie avec les deux passagers, qui l’ont