Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/244

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quittée, sans doute, avec beaucoup de respect. Elle est entrée dans la maison ; elle a demandé l’usage d’une chambre, pour une demi-heure, sous prétexte d’y prendre une tasse de thé. On lui a donné la chambre d’où je t’écris. Elle s’est assise à la même table, et, je crois, sur la même chaise où je suis actuellement. Ah ! Belford, si tu connaissais l’amour, tu sentirais le prix de ces légères circonstances. Elle paroissait fort abattue. L’hôtesse, charmée de sa figure, s’est crue obligée de lui tenir compagnie. Elle l’a pressée de manger quelque chose avec son thé. Non, a-t-elle répondu, je ne me sens pas d’appétit. Cette femme lui a proposé de goûter de ses biscuits, qui étoient excellens. Ce qu’il vous plaira, lui a-t-elle dit. L’hôtesse étant sortie un moment pour aller prendre quelques biscuits, s’est aperçue, à son retour, que la chère fugitive s’efforçait de retenir des marques de douleur, auxquelles il paroissait qu’elle s’était abandonnée dans son absence. Cependant, lorsqu’on lui a servi le thé, elle a prié l’hôtesse de s’asseoir. Elle a fait quantité de questions sur les villages voisins et sur les routes. L’hôtesse a pris la liberté de lui dire, qu’elle lui croyait quelque sujet de chagrin. Les personnes sensibles, a-t-elle répondu, ne quittent point leurs amis sans beaucoup de tristesse. Ne serait-ce pas de moi, Belford, qu’elle voulait parler ? Elle n’a pas fait la moindre question sur les logemens, quoiqu’on doive juger, par la suite, qu’elle ne se proposait pas d’aller cette nuit plus loin qu’Hamstead. Après avoir pris deux tasses de thé, elle a mis un biscuit dans sa poche ; tendre fille ! Apparemment pour lui servir de souper. Elle a laissé sur la table un demi-écu, dont elle a refusé de prendre le reste ; et poussant un soupir, elle s’est disposée à partir, en disant qu’elle allait continuer son chemin vers Hendon. C’est un des lieux dont elle avait demandé la distance. On lui a proposé d’envoyer sçavoir s’il n’y avait pas quelque voiture de Hamstead qui allât le même soir à Hendon. Elle a répondu que c’était prendre une peine inutile, parce qu’elle espérait de rencontrer une chaise qui venait au-devant d’elle. Autre de ses petites ruses, je suppose : car, depuis hier au matin, avec qui, et comment aurait-elle pu prendre un arrangement de cette nature ? Tous ceux qui l’ont vue se disaient entr’eux, qu’un air si noble, dans sa figure et dans sa conduite, annonçait une personne de qualité. Comme elle étoit sans aucune suite, et que ses beaux yeux (c’est l’expression de l’hôtesse) paroissaient rouges et enflés, ils n’ont pas douté qu’elle ne fût dans le cas d’avoir fui ses parens ou ses tuteurs ; car ils l’ont jugée trop jeune pour la croire mariée. Un mari, me disent-ils, n’abandonnerait point à elle-même une femme de cet âge et de cette beauté, ou ne lui causerait pas les chagrins qu’elle porte écrits sur son visage. Ils ajoutent que, pendant quelques momens, ils ont remarqué tant de trouble dans ses regards, qu’ils l’ont soupçonnée d’un funeste dessein contre elle-même. Ces observations n’ont pas manqué d’exciter leur curiosité. Ils ont engagé un domestique hors de condition, qui cherchait un maître, à suivre toutes ses traces. Je viens d’apprendre d’eux-mêmes ce qu’il se vante d’avoir observé. " elle a pris effectivement son chemin vers Hendon : mais en sortant d’Hamstead, elle s’est arrêtée pour jeter les yeux autour d’elle et dans