Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/261

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pour laquelle je vous ai vu, depuis peu, tant d’empressement. Mais je prends la liberté de vous représenter que vous devez me traiter avec un peu moins de chaleur ; ne fût-ce que pour donner une couleur favorable à ce qui s’est passé, et du poids aux propositions qu’il vous plaira de faire à votre famille. J’ai mis alors toutes mes lettres sur une chaise qui touchait à la sienne ; et je me suis retiré dans l’appartement voisin, avec une profonde révérence. Les deux femmes m’ont suivi au même instant : Madame Moore, pour laisser à ma perverse la liberté de lire ses lettres ; Miss Rawlings, par le même motif, et parce qu’on la demandait chez elle. La bonne Moore l’a priée de revenir promptement. Je lui ai fait la même prière ; et je ne lui ai pas vu de répugnance à promettre de nous obliger. J’ai tourné mes premiers soins à me faire pardonner, par Madame Moore, le déguisement sous lequel je m’étais présenté, et les fables qui m’avoient servi à la tromper. Je lui ai dit que je ne changeais rien au marché que j’avais fait avec elle pour son appartement, et que je la payerais pour un mois. Elle m’a témoigné quelques scrupules, qui se sont réduits à vouloir consulter Miss Rawlings. J’y ai consenti : mais après l’avoir fait souvenir qu’elle avait reçu mes arrhes, et qu’elle n’avait rien à me contester. Miss Rawlings est rentrée alors, d’un air de curiosité plus vive ; et Madame Moore lui ayant raconté ce qui venait de se passer entre nous, elle a pris le ton officieux. Je l’ai secondé sans affectation ; fort persuadé que, si je la faisais entrer dans mes intérêts, j’étais sûr de l’autre. Elle a souhaité, si le temps le permettait, et si sa proposition ne me paroissait pas indiscrète, que je lui apprisse en peu de mots le fond d’un évènement qui se présentait, m’a-t-elle dit, sous une face mystérieuse et tout-à-fait surprenante. Dans quelques momens, elle nous avait cru mariés ; dans d’autres, ce point lui avait paru douteux. Cependant la jeune dame ne le désavouait point absolument. Mais il paroissait du moins qu’elle se croyait mortellement offensée. Je lui ai répondu que notre aventure était d’une singularité sans exemple : que dans plusieurs circonstances elle pourrait leur paraître incroyable ; mais que, leur croyant beaucoup de discrétion, je ne ferais pas difficulté de leur en faire un récit abrégé, qui éclaircirait, à leur satisfaction, non-seulement ce qui s’était passé, mais encore tout ce qui pouvait arriver. Elles ont pris chacune leur chaise autour de moi, et chaque trait de leur visage s’est composé à l’attention. J’étais résolu d’approcher de la vérité, autant qu’il m’était possible, dans la crainte qu’il n’échappât quelque chose à ma charmante, qui pût démentir mon témoignage ; et pour m’accorder d’ailleurs avec moi-même, sur toute la scène de l’hôtellerie. Quoique tu saches toute mon histoire, Belford, et que je t’aie communiqué une bonne partie de mes vues, il est nécessaire que je t’apprenne en gros le tour que j’ai donné à mon récit. " je leur ai fait, en abrégé, l’histoire de nos familles, de nos fortunes, de nos alliances, de nos antipathies, sur-tout de celle qui met un obstacle éternel à l’amitié entre James Harlove et moi. J’ai constaté la vérité de notre mariage secret ". (la lettre du capitaine, que je joindrai à celle-ci, t’en fera connaître les raisons : d’ailleurs, les deux femmes auraient pu me