Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/271

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M Lovelace, à M Belford.

il était temps de tourner mon attention vers ma charmante, qui avait eu du loisir de reste pour réfléchir sur les lettres que je lui avais laissées. J’ai prié Madame Moore de passer dans le cabinet, et de lui demander, s’il lui plaisait de recevoir ma visite, à l’occasion des lettres, ou s’il lui plairait davantage de m’accorder l’honneur de la voir dans la salle à manger. Madame Moore a prié Miss Rawlings de l’accompagner. Elles sont entrées ensemble, et l’on n’a pas fait difficulté de les recevoir. Un moment de réflexion, je te prie, quoiqu’elle ne soit pas en ma faveur, sur cette sécurité que donne l’innocence, et qui tient néanmoins du serpent autant que de la colombe. Ici, sans penser à se défendre contre tout ce que je pouvais dire dans son absence, et contente du seul témoignage de son cœur, elle me laisse la liberté de raconter ma propre histoire à des gens aussi étrangers pour elle que pour moi, que cette qualité même devait lui faire croire disposés à prendre parti pour le plus injurié, c’est-à-dire, en me supposant un peu d’adresse pour moi, et par conséquent contr’elle. Chère petite innocente ! De se reposer sur la bonté de son cœur ; tandis que le cœur ne peut se faire connaître que par les actions, et que les apparences ne présentent, en elle, qu’une capricieuse, une fugitive, qui s’est dérobée aux empressemens du plus tendre et du plus indulgent de tous les maris ! Quelle folie, en effet, de se rendre l’esclave de l’opinion particulière, lorsque le monde entier est gouverné par les apparences ! Mais, au fond, que peut-on attendre d’un ange de dix-huit ans ? C’est un trésor de connaissances, mais de pure spéculation, sans que l’expérience y ait la moindre part. Cette espèce de lumière est toujours vague, incertaine ; un feu follet, qui n’éclaire l’esprit que pour l’égarer. Un moraliste dirait qu’entre les choses du monde, il y en a mille qui causeraient un plaisir inexprimable aux ames capables de réflexion, si le mélange qui s’y trouve ne leur faisait perdre la moitié de leur prix. Sans aller plus loin, j’ai vu des parens, entre lesquels je te permets de mettre les miens, qui, dans la jeunesse de leurs enfans, faisaient leurs délices des mêmes qualités qui devaient causer un jour le malheur de leur vie. Pour ramener cette morale à mes vues, ma charmante a sans doute assez de prudence pour s’élever au-dessus de toutes les personnes de son sexe ; mais je ne voudrais pas qu’elle en eût plus que moi. Au fond, j’ai beau l’adorer ; c’est ma vengeance, cette vengeance que j’ai jurée, qui tient le premier rang dans mon cœur. Miss Howe prétend que mon amour ressemble à celui d’Hérode. Sur ma foi ! Cette fille a deviné. J’ai presque regret de t’avouer que je prends plaisir à faire le tyran sur ce que j’aime. Dis-moi, si tu veux, que ce plaisir n’est pas d’un homme généreux. Des cœurs plus tendres que le mien le connaissent. On a vu des femmes s’y livrer à l’égard d’une femme, lorsqu’elles en ont eu le pouvoir. Pourquoi serais-tu surpris, qu’adorant ce sexe, et mettant tous mes soins à l’étudier, l’infection ait gagné jusqu’à moi ?