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Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/270

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Pas mal, Belford. Rien de plus modeste. Observe ici que, sur un sujet de cette nature, très-peu d’autres libertins seraient capables d’employer un langage assez décent, pour engager des femmes modestes à les écouter d’un air tranquille. Elles ont souri toutes deux, en se jetant un regard mutuel. Observe encore que ce sujet fait toujours sourire les femmes. Il ne leur faut que des superficies d’expression. Un homme qui s’échappe grossièrement devant elles, mérite d’être assommé à coups de massue. Elles ressemblent aux instrumens de musique : touchez le moindre petit fil d’archal, ces chères ames deviennent sensibles dans toutes les parties de leur être. Assurément, a répondu Miss Rawlings, d’un air profond, en faisant jouer son éventail, un casuiste déciderait que le vœu du mariage doit l’emporter sur toute autre obligation. Madame Moore a déclaré que, si la jeune dame me reconnaissait pour son mari, elle devait remplir les obligations d’une honnête femme. Juges, Belford, quelles espérances j’ai conçues sur cette réponse. Mais j’avais besoin de quelques autres mesures, pour me mettre en état de prendre tous mes avantages. Les arrhes que vous avez reçues, ai-je dit froidement à Madame Moore, me donnent droit à cet appartement. Il suffira pour moi : cependant j’espère que vous ménagerez, au second, tout l’espace que vous pourrez pour mes gens : et le plus sûr serait de m’accorder tout ; car puis-je savoir ce que le frère de ma femme est capable d’entreprendre ? Je vous payerai tout ce que vous jugerez à propos de demander, pour un mois, ou deux même, en y comprenant la table. Prenez ce billet pour gage, ou pour une partie du payement… je lui ai offert un billet de banque de trente livres sterling. Elle a refusé de le prendre, sous prétexte de vouloir consulter auparavant la jeune dame ; mais, ne doutant pas de mon honneur, m’a-t-elle dit, elle me promettait de ne recevoir personne qu’elle ne connût bien, tandis qu’elle aurait chez elle la jeune dame et moi. La jeune dame ! La jeune dame ! Entendrai-je toujours de la bouche de ces deux créatures un terme qui marque des restes de doute au fond de leur cœur ? Pourquoi ne pas dire votre femme , ou madame ? C’est la plainte que j’ai faite en moi-même. Si convaincues à ce moment, ai-je pensé, et tout d’un coup incertaines. Jamais je n’ai vu des femmes de cette espèce. Je ne connaissais pas, leur ai-je dit, d’autres raisons à ma femme pour refuser de me souffrir sous le même toit, que celles qu’elle avait eues pour quitter la maison de Madame Sinclair. Mais, quand elle ferait valoir cette objection, j’étais résolu de ne pas m’y rendre ; parce qu’il était à craindre pour moi, que le même désordre d’esprit qui l’avait amenée à Hamstead, ne me fît perdre absolument ses traces. Cette réponse a paru les embarrasser. Elles se sont regardées en silence ; mais j’ai lu dans leurs yeux qu’elles approuvaient ma crainte. Je leur ai dit que je voulais être et l’hôte et le convive de Madame Moore. L’heure du dîner approchoit. On ne m’a pas refusé la seconde de ces deux faveurs.