Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/278

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Tomlinson, qui est peut-être descendu quelque part, et qui perd apparemment à s’ajuster, des momens dont il ignore le prix : je suis impatient de le voir arriver, dût-il venir nud, dieu me pardonne ! Car votre cruauté m’a percé le cœur. On m’a répondu d’en-bas qu’aucun de mes gens n’était dans la maison. Où sont donc ces chiens-là ? Ai-je repris d’un ton furieux. Ah ! Monsieur, m’a-t-elle dit d’un air méprisant, ils ne sont pas loin, j’en réponds : vous en aviez à ce moment un sous ma fenêtre, avec ordre sans doute de veiller sur mes pas : mais apprenez que je n’ai ici que mes volontés à consulter, et qu’à vos propres yeux j’irai où je le juge à propos. Me préserve le ciel, ai-je répondu, de vous faire la moindre violence sur tout ce que vous pouvez désirer avec sûreté ! Je suis persuadé à présent que son dessein était de s’évader, en conséquence du court entretien qu’elle avait eu avec Miss Rawlings, et de prendre peut-être la maison de cette fille pour retraite. Elle est retournée vers Madame Moore, à laquelle je l’ai vue donner quelque chose, en lui disant d’une voix libre, comme dans la vue de me braver, qu’elle laissait ce gage entre ses mains pour ce qu’elle lui devait, parce qu’ayant peu d’argent sur elle, il pouvait arriver qu’elle en eût besoin avant qu’elle pût s’en procurer davantage. J’ai su que c’était son diamant. Madame Moore voulait s’excuser de le prendre, mais elle l’a désiré absolument. Alors s’étant essuyé les yeux, elle a mis ses gants. Personne n’a droit de m’arrêter, a-t-elle dit ; je veux partir. Qui craindrais-je ici ? Charmante fille ! Tandis que sa question même témoignait ses craintes. Pardon, madame, a-t-elle continué, en faisant une révérence à Madame Moore : pardon, mademoiselle, (à Miss Rawlings) de tout l’embarras que je vous ai causé. Vous aurez de mes nouvelles dans un temps plus heureux, s’il en arrive jamais pour moi. Je vous souhaite toutes sortes de prospérités. Elle s’efforçait de retenir ses larmes ; mais, finissant par un sanglot, elle est descendue vers la porte. Il ne m’a pas été difficile d’y arriver plutôt qu’elle ; je l’ai fermée, et, le dos appuyé contre la serrure, j’ai pris ses mains malgré elle : ma très-chère vie ! Mon ange ! Lui ai-je dit, pourquoi me tourmenter si cruellement ? Est-ce là le pardon que vous m’avez promis ? Quittez mes mains, monsieur ; je ne vous connais plus ; vous n’avez aucun droit sur ma liberté : monsieur, quittez mes mains. Mais où, où, mon très-cher amour, où prétendez-vous aller ? Ne songez-vous pas que je suivrai vos traces jusqu’au bout du monde ? Où voudriez-vous aller ? Il est vrai que vous pouvez me faire cette question, vous qui ne m’avez pas laissé au monde un seul ami : mais Dieu, qui connaît mon innocence, ne m’abandonnera point entièrement, lorsque je serai hors de votre pouvoir. Aussi long-temps que j’aurai le malheur d’être avec vous, je ne puis espérer que le moindre rayon de la faveur du ciel arrive jusqu’à moi. Quelle dureté ! Quelle rigueur ! Loin de vous, ma cruelle Clarisse, je renonce à tout espoir dans cette vie et dans l’autre : vous êtes mon guide ; vous êtes l’astre qui doit éclairer mes pas : si je dois être heureux, c’est par vous et dans vous.