Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/283

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souhaite, de quelque manière que le ciel dispose de moi ". Le son de sa voix m’a fait juger qu’elle pleurait en prononçant ces derniers mots. Les femmes sont sorties toutes deux en s’essuyant les yeux ; et leur zèle s’est tourné à me persuader de rendre l’appartement que j’ai loué, et de me retirer jusqu’à l’arrivée du capitaine. Mais je connais trop bien mes intérêts. Malgré toute la bonne intelligence que Miss Howe me suppose avec le diable, je ne juge point à propos de me fier à lui pour retrouver ma belle, si j’avais le malheur de la perdre encore une fois. Ma plus grande crainte est qu’elle ne se jette dans sa famille ; et je suis persuadé que ses parens ne résisteraient pas au charme de son éloquence. Mais, comme tu le verras, la lettre de Tomlinson est propre à me rassurer de ce côté-là, sur-tout lorsqu’il me dit que son oncle ne se croit pas libre lui-même d’entretenir une correspondance directe avec elle. Tous mes sermens de vengeance ne m’empêcheront pas de t’avouer que je souhaiterais de pouvoir lui faire un mérite, dans mon cœur, du retour volontaire de son affection, et d’avoir le moins d’obligation qu’il sera possible à la médiation du capitaine. Mon orgueil y est intéressé. C’est une des raisons qui ne m’ont pas permis de l’amener d’abord avec moi. J’ai fait réflexion aussi que, si j’étais obligé d’avoir recours à son assistance, il était à propos que j’eusse vu la belle sans lui, pour me trouver en état de le diriger dans sa conduite et dans ses discours, suivant l’humeur et la disposition où j’aurais laissé cette implacable déesse. Au fond je n’ai pas été fâché d’entendre de Madame Moore que le dîner était servi, et cet intermède est venu fort à propos. Nous étions tous hors d’haleine. Le parti que ma charmante a pris de remonter à sa chambre, lui a donné le temps de se refroidir, et à moi celui de me fortifier et d’attendre le capitaine. Je suis entré, avec les femmes, dans la salle à manger. Madame Moore a commencé par envoyer un plat d’entrée à sa belle cliente. Mais elle s’est obstinée à ne prendre qu’un morceau de pain et un verre d’eau. Je m’y étois attendu. N’est-elle pas une Harlove ? Il semble qu’elle veuille s’endurcir à la fatigue, quoiqu’elle n’en soit jamais fort menacée. Quand elle refuserait absolument de m’avoir obligation, ou, pour m’exprimer dans des termes plus convenables à mes sentimens, quand elle refuserait de m’obliger, n’est-elle pas sûre de l’amitié et du secours de tous ceux qui auront le bonheur de la voir ? Mais j’ai une question à te faire, Belford. N’as-tu pas quelque inquiétude pour moi, sur la lettre que cette beauté chagrine a dépêchée par un homme à cheval, et sur la réponse de son amie ? Ne crains-tu pas aussi que Miss Howe, apprenant la fuite de sa chère Clarisse, ne soit alarmée pour le sort de sa dernière lettre, qui, n’étant sortie des mains de Wilson qu’après cet événement, doit être tombée apparemment dans les miennes ? Si tes réflexions vont si loin, je n’ai pas mauvaise opinion de ta tête. Apprends donc qu’on a pourvu à toutes ces circonstances, avec autant d’habileté que la prudence humaine en est capable. Je t’ai déjà dit que Will est aux aguets pour le messager. C’est un ivrogne du village, qui se nomme le vieux Grimes . Que Will parvienne seulement à le joindre, je te réponds du reste. Ne sais-tu pas qu’il y a plus de sept ans que ce coquin est à mon service ?