Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/284

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M Lovelace, à M Belford.

avec Miss Rawlings, nous avions à dîner une jeune veuve, nièce de Madame Moore, qui est venue passer un mois chez sa tante. Elle se nomme Bevis : une petite femme, vive, étourdie, et déjà je t’assure, pleine d’admiration pour moi ; qui paraît écouter, avec étonnement, tout ce qui sort de ma bouche, et prête à m’approuver avant que j’aie parlé. Nous n’étions pas sortis de table, qu’avec le secours de ce qu’elle avait pu recueillir avant le dîner, elle était aussi bien instruite de notre histoire que les deux autres. Comme il était important pour moi de les disposer en ma faveur contre tout ce qui pouvait venir de Miss Howe, j’ai soigneusement commenté quelques mots, que j’avais déjà lâchés sur le caractère de cette malicieuse fille. Je l’ai représentée comme une créature arrogante, vindicative, artificieuse, entreprenante, qui, si le ciel l’avait fait naître homme, aurait juré, maudit, commis des viols, et fait le diable, (je n’en doute pas, Belford) : mais qui, grâces néanmoins à l’éducation de son sexe, à beaucoup d’orgueil, et même à beaucoup d’insolence, joint la réputation d’une fille vertueuse. Madame Bevis est convenue que l’éducation y contribuait beaucoup, et que la fierté même n’y nuisait pas ; tandis que Miss Rawlings s’est écriée d’un air prude : à dieu ne plaise que la vertu ne soit qu’un effet de l’éducation ! Sans prendre parti sur la question, j’ai assuré que Miss Howe étoit l’esprit le plus fécond et le plus subtil en méchancetés que j’eusse jamais connu ; qu’elle avait toujours été mon ennemie ; que j’ignorais ses motifs ; mais qu’elle méprisait l’homme que sa mère voulait lui donner pour mari, un nommé Hickman, du meilleur caractère du monde : que je ne pouvais m’imaginer qu’elle me crût préférable à lui ; mais que bien des gens, néanmoins, ne donnaient pas d’autre cause à l’animosité qu’ils lui connaissaient contre moi, et plaignaient une jeune personne aussi aimable que ma femme, de ne pas mieux lire dans le cœur de cette amie prétendue. Cependant, ai-je ajouté, personne ne devait connaître mieux qu’elle la force d’une haine qui a sa racine dans l’envie. Je vous ai dit, Madame Moore, et à vous, Miss Rawlings, quelle triste expérience elle en a faite dans sa sœur Arabelle. J’ai reçu ici quantité de complimens sur ma figure et sur mon esprit, qui ont donné à ma modestie, une occasion singulière de se déployer, en désavouant tout le mérite qu’on avait la bonté de m’attribuer. Non, en vérité, mesdames… il y aurait trop de vanité à me l’imaginer. Je suis votre serviteur… mais tous les efforts que j’ai faits n’ont servi qu’à donner une haute idée de ce caractère modeste et généreux que tu me connais, Belford, et qu’on a joint au compte, par dessus toutes les vertus que j’avais l’injustice de me dérober. Et pour te parler de bonne foi, elles m’ont presque persuadé à moi-même, que Miss Howe est réellement amoureuse de moi. J’ai été plus d’une fois tenté de m’en flatter. Qui sait s’il n’en est pas quelque chose ? Je suis convenu avec le capitaine qu’il ne manquera pas de l’insinuer dans l’occasion. Mais qu’en penses-tu toi-même, Belford ? Il est certain qu’elle hait Hickman : et les filles qui n’ont pas le cœur engagé, ne haïssent