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Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/306

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cru possible qu’avec des vues aussi proches, aussi clairement avouées, elle m’eût accordé si peu de part à son estime. Cependant je me dois quelque justice par rapport à l’offense dont j’ai eu le malheur de me rendre coupable, lorsque je vous vois tant de penchant à la croire beaucoup plus grave que je ne vous l’ai déclaré. Clar. monsieur, je n’écoute pas vos récapitulations ; je suis et je dois être seule juge des insultes qui me regardent personnellement. Je ne veux aucune discussion avec vous, et je ne vous écoute pas sur un sujet si choquant. Elle s’est mise en mouvement pour sortir. Je me suis placé entr’elle et la porte. Vous pouvez m’entendre, madame ; ma faute n’est pas d’une nature qui s’y oppose : je m’accuserai moi-même avec justice, mais sans blesser vos oreilles. J’ai protesté alors que le feu de mercredi avait été réel (il l’était en effet) : j’ai désavoué (avec un peu moins de bonne foi), que l’aventure fût préméditée : j’ai reconnu que je m’étais laissé emporter par la violence de ma passion, et par un transport soudain, que peu de jeunes gens, dans la même situation, eussent été capables de réprimer ; mais j’étais sorti sur ses ordres, sur ses instances, sur la promesse du pardon, sans m’être échappé à d’autres libertés, à d’autres indécences que celles dont les personnes les plus délicates, surprises dans une attitude si charmante, auraient fait moins un sujet d’offense que de badinage et de raillerie, sur-tout lorsque ses alarmes pour le feu m’excitaient à la rassurer par toutes les expressions de la tendresse, et qu’étant si proche de l’heureux jour, je pouvais me regarder comme un amant reconnu. Cette excuse ai-je ajouté, justifiait aussi les femmes de la maison, qui, nous croyant actuellement mariés, pouvaient supposer leur intervention moins nécessaire dans une si tendre occasion. Sens-tu, Belford, la hardiesse de cette insinuation en faveur des femmes ? (ses yeux se sont remplis de la plus haute indignation ; elle en a lancé contre moi traits sur traits : son ame s’est montrée toute entière dans chaque ligne de son visage. Cependant elle n’a pas dit un seul mot. Peut-être a-t-elle cru trouver dans cette apologie pour les femmes, l’explication du parti auquel je m’étais attaché malgré elle de nous faire passer pour mariés en arrivant dans cette maison.) Le Capit. en vérité, monsieur, je ne puis approuver que vous ayez augmenté l’effroi de madame, lorsque la crainte du feu l’avait déjà trop alarmée. (elle a voulu forcer ici le passage pour sortir ; je me suis mis le dos contre la porte, et je l’ai conjurée de m’accorder un moment.) ce n’est pas mon intérêt seul, très-chère Clarisse, qui me fait souhaiter que le capitaine Tomlinson ne me croie pas plus coupable. Je n’ajouterai pas un mot sur ce malheureux sujet, lorsque j’en aurai appelé à votre propre cœur, lorsque je vous aurai demandé si cette explication n’était pas nécessaire devant le capitaine. Il aurait emporté de moi une trop mauvaise opinion, s’il n’avait jugé de ma faute que par la violence de votre ressentiment. Le Capit. oui, j’en conviens, et je suis très-satisfait, M Lovelace, que vous en puissiez dire tant pour votre défense. Clar. admirable jugement que celui d’une cause où l’offenseur est assis entre les juges ! Je ne soumets pas la mienne à la décision des