Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/307

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

hommes, pas même à la vôtre, M Tomlinson. Vous me permettrez de le dire, quoique je veuille conserver la bonne opinion que j’ai de vous ; si M Lovelace ne s’était pas cru sûr de vous avoir fait entrer dans ses intérêts, il ne vous aurait point engagé à faire le voyage de Hamstead. Le Capit. si je me suis laissé engager à quelque chose, madame, je le dis hardiment devant M Lovelace, c’est pour l’intérêt de votre oncle et pour le vôtre, beaucoup plus que pour le sien. Je l’ai blâmé dans le premier moment, et je le blâme encore d’avoir ajouté chagrin sur chagrin, terreur sur terreur… dans le tems, monsieur, (me regardant d’un œil fier) que madame était prête à s’évanouir devant vous. Lovel. je ne disconviens pas, capitaine, qu’il n’y ait beaucoup de fautes, beaucoup de légèretés à me reprocher, et que si cette chère personne m’a jamais honoré de quelque affection, je ne sois même un ingrat ; mais je n’ai que trop de raison d’en douter. N’ai-je pas une preuve actuelle que jamais elle n’a eu pour moi l’estime dont ma fierté me rendait jaloux, dans la facilité avec laquelle je la vois renoncer à moi pour une offense légère, renoncer à l’espérance d’une réconciliation dont son oncle se fait le médiateur, et risquer les plus funestes suites ? Dans quelles circonstances encore ? à la vue du terme, lorsque les articles sont dressés et prêts à signer, lorsque je sollicite une médiation que nulle autre considération que la sienne n’a pu me faire désirer. Par ma foi ! Capitaine, cette chère personne ne doit avoir eu que de la haine pour moi, pendant le temps même qu’elle a voulu m’honorer de sa main ; et j’imagine qu’à présent qu’elle est résolue de m’abandonner, c’est une préférence décidée dans son cœur pour le plus odieux de tous les hommes, pour ce Solmes, qui doit, dites-vous, accompagner son frère : et dans quelles espérances, dans quelles vues l’accompagner ? Ciel ! Comment suis-je capable de soutenir cette idée ? Clar. vous jugeriez mieux de l’estime que j’ai eue pour vous, si vous vouliez vous souvenir que vous ne l’avez jamais méritée… elle a fait ici quelques pas vers la fenêtre ; et retournant vers nous : M Tomlinson, a-t-elle dit au capitaine, je veux bien vous avouer qu’en donnant ma main, je n’étais pas capable de me borner à ce don. Ne l’ai-je pas assez prouvé aux meilleurs de tous les parens ? Et n’est-ce pas ce qui m’a jetée dans un abîme dont l’homme que vous voyez n’a fait qu’augmenter la profondeur, lorsque l’honneur et la reconnaissance l’obligeaient également de me soutenir dans ma chûte. Je n’ai pas même été sans inclination pour lui ; ma peine n’est pas à l’avouer. J’ai supporté long-temps les variétés inexplicables de sa conduite : j’attribuais ses erreurs soit à la légèreté de son âge, soit au défaut de cette pure et généreuse délicatesse qui intéresse le cœur aux disgraces d’autrui. Aujourd’hui, ce ne peut être qu’une véritable méchanceté qui lui fait soutenir que sa dernière et cruelle insulte n’a pas été préméditée. Mais quel besoin d’en parler davantage, puisqu’elle est d’une nature qui a tout-à-fait changé cette inclination que j’avais en sa faveur, et qu’elle m’a fait renoncer à toutes mes espérances, pour me délivrer absolument de son pouvoir ? Lovel. ô ma très-chère Clarisse ! Que nous serions heureux l’un et l’autre si j’avais pu découvrir cette inclination, comme vous daignez l’appeler, au travers d’une froideur dont jamais amant n’a fait une si cruelle expérience ! Clar. comptez, capitaine, qu’il avait su la découvrir : il a su me