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Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/311

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demander cette faveur de la part de M Tomlinson et de la mienne. Je n’ai pas voulu charger de cette commission Miss Rawlings, ni Madame Moore, de peur qu’elle ne se trouvât dans une disposition trop communicative, sur-tout avec une fille aussi curieuse que Miss Rawlings. Madame Bévis est revenue nous dire aussitôt, en me faisant un signe particulier de l’œil, que madame allait descendre. Miss Rawlings n’a pu se dispenser d’offrir, comme les autres, de se retirer ; mais on lisait dans ses yeux qu’elle serait demeurée beaucoup plus volontiers ; et voyant qu’on faisait peu d’attention à ses désirs, elle s’est retirée d’un pas plus lent que les deux autres. à peine étoit-elle sortie, que ma charmante est entrée par l’autre porte, avec une dignité mélancolique dans sa marche et dans son air. Elle s’est assise, en priant M Tomlinson de s’asseoir aussi. Il s’est placé vis-à-vis d’elle. Je me suis tenu debout, derrière le fauteuil de la belle, pour être en état de faire au capitaine les signes dont nous étions convenus. Un clignement de l’œil gauche devait signifier, pousse ce point, capitaine . L’œil droit, avec une inclination de tête, devait marquer mon approbation. Le doigt levé, en mordant ma lèvre, était pour dire : éloigne cette question . La tête baissée directement, en ridant le front, jure ici, capitaine . Ma main tout ouverte : prends garde d’en dire trop sur ce point . Et tous ces mouvemens, je les pouvais faire, même ceux de la main, quand les femmes auraient été dans la chambre, sans lever les bras, et sans remuer le poignet. Les paupières serrées, avec un mouvement d’affirmation, étoient pour lui ordonner de se mettre en colère. Ma belle a toussé. J’allais parler, pour lui épargner un peu de confusion. Mais jamais la présence d’esprit ne lui manque lorsqu’elle en a besoin pour l’intérêt de son honneur, ou pour le soutien de cette dignité qui la distingue de toutes les femmes que j’ai connues dans ma vie. J’ai considéré, nous a-t-elle dit, avec toute l’attention dont je suis capable, ce qui s’est passé aujourd’hui dans ce lieu, et les malheureuses circonstances de ma situation. Je ne suis pas portée à la défiance, M Tomlinson ; je ne juge mal de personne ; au contraire, j’ai toujours pris plaisir à tirer des conclusions plus favorables que désavantageuses, quoique trompée souvent par de fort mauvais cœurs. La malignité n’est pas un de mes défauts ; mais, dans l’état où je suis, traitée comme j’ai le malheur de l’être, indignement traitée par un homme rempli d’inventions, et qui en fait gloire… Lovel. ma très-chère vie… mais je ne veux pas vous interrompre. Clar. dans cet état, il me convient de douter. Mon honneur m’oblige de douter, de craindre, de ne fermer les yeux sur aucun sujet d’alarme. Votre intervention, monsieur, est si favorable, arrive si à propos pour M Lovelace, l’expédient de mon oncle, qui est sans doute le premier de cette nature, qu’un homme si droit et si simple ait jamais employé ; votre rapport, ses suites, l’alarme que mon frère en a conçue ; le téméraire dessein qu’elle lui a fait former ; l’inquiétude de Miladi Lawrance et de toute sa famille ; les lettres soudaines que M Lovelace a reçues à cette occasion, et qu’il a pris soin de me montrer avec la vôtre : l’air de cérémonie entre des personnes qui sont nées à la vérité pour en observer