Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/34

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

En partant hier au soir, ou plutôt ce matin, tu m’as fait promettre de t’écrire deux mots à Edgware, pour t’apprendre ce qu’elle pense de toi et de tes camarades subalternes. Tes mille guinées sont à toi, mon pauvre Belford ; car vous lui déplaisez tous parfaitement ; et toi comme les autres. J’en suis assez fâché pour ta part ; et cela par deux raisons : l’une, que le motif de ta curiosité devait être crainte et mauvaise opinion de toi-même ; aulieu que celle du dieu des voleurs ne venant que d’une insupportable vanité, il méritait d’être renvoyé au ciel en rougissant d’une aventure dont il y a beaucoup d’apparence qu’il n’osa pas se vanter ; l’autre, que si on a du dégoût pour toi, je crains de n’être pas mieux dans l’esprit de la belle ; car ne sommes-nous pas des oiseaux du même plumage ? Je ne dois jamais parler de réformation, m’a-t-elle dit, avec des compagnons de cette espèce, et prenant autant de plaisir que j’en prends à vivre avec eux. Il ne m’est pas tombé dans l’esprit plus qu’à vous, qu’elle pût vous trouver à son gré ; mais vous connaissant pour mes amis, j’avais cru qu’une personne si bien élevée garderait plus de ménagement dans ses censures. Je ne sais comment va le monde, Belford ; mais les femmes se croient en droit de prendre toutes sortes de libertés avec nous, tandis que nous sommes impolis, et peut-être beaucoup pires, si nous ne débitons pas un tas de menteries maudites, et si nous ne faisons pas le blanc du noir en leur faveur. Elles nous forcent ainsi à l’hypocrisie ; et dans d’autres tems, elles nous reprochent de n’être que des trompeurs. Je vous ai défendu tous, le mieux que j’ai pu : mais, contre des principes tels que les siens, vous savez qu’on ne peut se défendre qu’en retraite. Voici quelques traits de votre apologie. " à des yeux purs, les moindres écarts paroissent une offense. Cependant je n’avais pas remarqué, pendant toute la soirée, que, dans vos discours ou dans vos manières, il y eût quelque chose à vous reprocher. Bien des gens n’étoient capables de parler que sur un ou deux sujets ; elle ne leur ressemblait pas, elle qui les possédait tous : mais il n’était pas surprenant que vous eussiez parlé de ce que vous savez le mieux, et que votre conversation se fût bornée aux simples objets des sens. Si elle nous avait un peu plus honorés de la sienne, elle aurait eu moins de dégoût pour la nôtre ; car elle avait vu avec quelle attention tout le monde se préparait à l’admirer lorsqu’elle ouvrait les lèvres. Belford, en particulier, m’avait dit, aussi-tôt qu’elle s’était retirée, que la vertu même parlait par sa bouche ; mais qu’elle lui avait imposé tant de respect, qu’il craindrait toujours, devant elle, de ne pas s’observer autant qu’il s’y croyait obligé ". à parler naturellement, m’a-t-elle dit, elle n’aimait ni mes compagnons, ni la maison où elle étoit. Je lui ai répondu que je n’aimais pas la maison plus qu’elle ; quoique les gens parussent assez civils, et qu’elle eût avoué qu’ils lui déplaisaient moins qu’à la première vue. Mais n’étions-nous pas à la veille d’en avoir une à nous ? " elle n’aimait pas Miss Partington. Quand sa fortune serait telle qu’on le disait, elle n’avait pas d’inclination à la choisir pour son amie. Il lui