Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/35

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semblait étrange que la nuit précédente on se fût adressé à elle pour une proposition qui l’avait embarrassée ; tandis que les dames de la maison avoient sur le devant d’autres locataires, avec lesquels elles devaient être plus libres qu’avec une connaissance de deux jours ". J’ai feint d’ignorer tout-à-fait cette circonstance ; et, lorsqu’elle s’est expliquée plus ouvertement, j’ai condamné la demande comme une action indiscrète. Elle a parlé de son refus plus légérement qu’elle n’en jugeait ; je l’ai fort bien remarqué ; car il était aisé de voir qu’elle me croyait assez bien fondé à lui reprocher un excès de délicatesse ou de précaution. Je lui ai offert de marquer mon ressentiment à Madame Sinclair. " non ; ce n’était pas la peine ; il valait mieux passer là-dessus : on pouvait trouver plus de singularité dans son refus, que dans la demande de Madame Sinclair et dans la confiance de Miss Partington. Mais, comme les gens de la maison avoient un si grand nombre de connaissances, elle craignait de n’être pas libre dans son appartement, si sa porte était ouverte à tout le monde. Au fond, elle avait trouvé, dans les manières de Miss Partington, des airs de légéreté sur lesquels elle ne pouvait passer, du moins pour souhaiter une liaison plus intime avec elle. Mais, si sa fortune était si considérable, elle ne pouvait s’empêcher de dire que cette jeune personne lui paroissait plus propre à recevoir mes soins, que… ". Je l’ai interrompue d’un air grave : je n’avais pas, lui ai-je dit, plus de goût qu’elle pour Miss Partington. C’était une jeune innocente, qui me semblait justifier assez la vigilance que ses tuteurs apportaient à sa conduite. Cependant, pour la nuit passée, je devais avouer que je n’avais rien observé de choquant dans sa conduite ; et que je n’y avais vu que l’ouverture d’une jeune fille de bon naturel, qui se croit en sûreté dans une compagnie d’honnêtes gens. C’était parler fort avantageusement, m’a-t-elle dit, et de moi et de mes compagnons : mais, si cette jeune fille avait été si satisfaite de la soirée qu’elle avait passée avec nous, elle me laissait à juger si je n’étais pas trop bon de lui supposer tant d’innocence. Pour elle, qui ne connaissait point encore Londres, elle m’avouait naturellement que, de sa vie, elle ne s’était trouvée en si mauvaise compagnie, et qu’elle souhaitait de ne s’y retrouver jamais. Entends-tu, Belford ? Il me semble que tu es plus maltraité que Mercure. J’étais piqué. Autant que j’en pouvais juger, lui ai-je répondu, des femmes beaucoup plus discrètes que Miss Partington ne seraient pas à couvert devant le tribunal d’une si rigoureuse vertu. Je prenais mal sa pensée, a-t-elle repris ; mais, si réellement je n’avais rien vu dans la conduite de cette jeune personne, qui fût choquant pour une ame vertueuse, elle ne pouvait me dissimuler que mon ignorance lui paroissait aussi digne de pitié que la sienne ; et que, pour l’intérêt de deux caractères si bien assortis, il était à souhaiter qu’ils ne fussent jamais séparés. Vois, Belford, ce que je gagne par ma charité ! Je l’ai remerciée de la sienne ; mais je n’ai pas fait difficulté de lui dire qu’en général, les bonnes ames en avoient fort peu ; et qu’à parler de bonne foi, j’aimerais mieux être un peu plus mauvais, et juger moins rigoureusement de mon prochain. Elle m’a félicité de ce sentiment ; mais elle espérait, a-t-elle ajouté,