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Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/345

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Ah, Lovelace ! Lovelace ! Quand j’en aurais jamais douté, c’est à présent que je serais convaincu qu’il existe un autre monde, où la justice sera rendue au mérite injurié, et où de si barbares perfidies trouveront leur punition. Seroit-il possible, autrement, que le divin Socrate et la divine Clarisse eussent souffert ? Mais je veux écarter un moment, si je le puis, des idées qui feront long-temps la guerre à mon repos. J’ai des affaires qui me retiendront encore quelques jours, après lesquels je quitte à jamais cette maison. L’ennui m’y a fidèlement accompagné. Je n’aurais jamais découvert la moitié du respect que je me suis senti réellement pour mon vieil oncle, si je n’avais pas été aussi attaché au chevet de son lit qu’il l’a désiré, et sans cesse témoin, par conséquent, de tout ce qu’il a souffert. Cette occasion mélancolique peut avoir servi à m’inspirer de l’humanité ; mais il est certain que je n’aurais jamais été aussi insensible que toi à tous les remords, pour une maîtresse aussi excellente de la moitié que la tienne. Je te prie, cher Lovelace, si tu n’es pas moins homme que démon, de te laver sur le champ du crime d’ingratitude, en t’accordant à toi-même le plus grand honneur auquel tu puisses aspirer, qui est celui d’en faire ta femme légitime. Si tu ne gagnes pas sur toi de lui rendre cette justice, si tu la sacrifiais à tes maudites femmes, je crois que je ne ferais pas scrupule de rompre une lance avec toi ; ou, du moins, tu dois t’attendre à une rupture éternelle. Tu veux savoir ce qui me revient par la mort de mon oncle ; je n’en suis pas encore certain ; car je n’ai pas eu l’avidité de quelques autres personnes de la famille, qui devraient avoir observé un peu plus de décence, comme je leur en ai fait un reproche, et laissé du moins au corps le temps de se refroidir, avant que de commencer leurs faméliques recherches. Mais, autant que j’ai pu le recueillir de quelques discours du défunt, qui a touché ce point plus souvent que je ne l’aurais souhaité, je compte sur quarante mille écus d’argent en caisse ou dans les fonds publics, outre le bien réel, qui est de cinq cents livres sterlings par an. Combien ne souhaiterais-je pas que ta passion fût pour l’argent ? La succession montât-elle au double, je t’abandonnerais jusqu’au dernier schelling, à cette seule condition, que tu me permisses de servir de père à la pauvre orpheline le jour de la célébration. Pense à ce que je t’écris, mon cher Lovelace. Sois honnête. Accorde-moi la satisfaction de te présenter le plus précieux trésor que jamais un homme ait possédé. Alors je suis à toi, corps et ame, jusqu’au dernier moment de ma vie.



M Lovelace, à M Belford.

jeudi, 15 de juin. Laisse-moi, grand vaurien que tu es ! Laisse-moi te dis-je, avec tes jérémiades. N’ai-je pas vu de petits garçons qui se couvraient timidement la tête et le visage du bras, tandis qu’un plus grand les maltraitait à coups de poing, pour s’être enfuis avec sa pomme ou son orange ? Je te