Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/356

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son oncle. Elle a refusé de m’entendre. L’imposture, m’a-t-elle dit, éclatait dans mes yeux et dans ma bouche. Elle était convaincue que j’avais prostitué l’honneur de ma famille, en faisant prendre le nom de ma tante et de ma cousine à deux femmes qu’elle n’osait nommer. Le capitaine Tomlinson et M Mennel étoient vraisemblablement deux autres de mes complices. Mais qu’ils fussent des scélérats ou non, j’en étais un. Elle insistait sur la liberté de pouvoir disposer du reste de sa courte et malheureuse vie. Enfin elle ne me voyait qu’avec horreur, sous toutes sortes de titres, et particulièrement sous celui que j’osais lui proposer. Elle m’a quitté avec ce cruel adieu. Je t’avoue, Belford, que je suis demeuré confondu. Il faut que je te communique sérieusement une partie de mes réflexions. Je n’ai pas encore touché au grand article du commerce libre ; et la manière dont elle s’est expliquée sur son oncle, marque assez qu’elle ne prend point encore la médiation pour une chimère. Cependant elle soupçonne mes nouveaux projets, et je lui vois des doutes sur Mennel et Tomlinson. Je dis que si c’est d’elle-même qu’elle tire ses lumières, sa pénétration est merveilleuse ; mais que si c’est de quelque autre qu’elle, son incrédulité, et son aversion pour moi, n’ont rien de surprenant. Expliquons-nous sans détour. Il est impossible, Belford, que tu joues le double avec moi. Non, ton imbécille pitié pour une femme ne t’aura pas fait trahir un ami, qui s’est ouvert à toi avec si peu de réserve. Je ne puis te croire capable de cette bassesse. Cependant rassure-moi sur ce point. Je dois faire une maudite figure à ses yeux lorsque je prodigue les vœux et les sermens, comme je ne ferai pas scrupule de recommencer dans l’occasion, s’il est vrai qu’elle soit bien informée de ma perfidie. Je sais que, lorsqu’il s’agit de fermeté, tu ne me redoutes pas plus que je ne te crains ; et que, si tu étais coupable, tu dédaignerais un désaveu, lorsque je te presse de t’expliquer. Je suis tenté de m’arrêter ici. Oui : je ne t’écrirai plus, jusqu’à ce que j’aie reçu ta réponse. Lundi, à 3 heures du matin.



M Lovelace, au même.

lundi, 19 juin, à cinq heures du matin. Il faut que j’écrive ; je n’ai pas d’autre ressource contre le trouble de mon cœur ; et je ne puis me persuader que tu m’aies trahi. Que n’ai-je pas fait pour inviter le sommeil ? Il s’obstine à ne pas s’arrêter sur mes yeux. C’est à présent que je souhaiterais, du fond de l’ame, de n’avoir jamais connu cette charmante personne. Mais qui se serait imaginé qu’il y eût au monde une femme de ce caractère ? Pour tout ce que j’ai connu, entendu, lu de son sexe, la règle est vraie : une fois subjugué, c’est pour toujours. Les premiers efforts sont toujours les derniers ; ou du moins la résistance qui les suit devient si foible par dégrés, qu’un homme regretterait d’en trouver moins. Cependant que sais-je encore ? Il est à présent six heures : le soleil éclaire depuis long-temps tout ce qui est autour de moi ; car cet astre impartial luit sur la maison d’une Sinclair comme sur toutes les autres : mais sa lumière ne pénètre pas au fond de mon cœur. à la pointe du jour, je me suis approché de la porte de ma charmante ; j’ai jeté la vue sur le passage de la clé. Elle a