Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/357

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déclaré à Dorcas qu’elle ne quitterait plus ses habits dans cette maison. Je l’ai vue dans un doux sommeil, qui servira sans doute à rafraîchir ses sens troublés, assise dans un fauteuil, son tablier sur le visage, une main qui soutenait sa tête, l’autre étendue sans mouvement sur son genou ; la moitié seulement d’un de ses pieds visible. Quelle différence entr’elle et moi ! Ai-je pensé. Elle dort tranquillement, elle qui a reçu l’injure, tandis que l’offenseur ne peut fermer les yeux, et s’est efforcé inutilement toute la nuit de dissiper son chagrin et de se fuir lui-même. J’espère néanmoins que je prendrai le dessus. Si je n’y parvenais pas, cette chère créature serait bien vengée : je serais le plus malheureux de tous les hommes. à six heures. Dorcas vient m’avertir que sa maîtresse se dispose ouvertement à partir. Je n’en doute pas. L’humeur où je te la représentais hier au soir en me quittant m’a préparé à cette entreprise. Qu’en dis-tu, Belford ? être haï, méprisé ! Mais si j’ai passé les bornes du pardon, à quoi tient-il ?… je m’abyme dans mes tristes réflexions. Elle me fait dire par Dorcas qu’elle demande un moment d’entretien dans la salle à manger, et, ce qui est assez bizarre, qu’elle souhaite que cette fille soit présente à notre conversation. Ce message me donne quelque espérance. à neuf heures. Damnable artifice ! Ruse ! Trahison ! Il ne s’en est rien fallu qu’elle ne m’ait glissé au travers des doigts. Elle n’avait pas d’autre vue dans son message que d’éloigner Dorcas, et de nettoyer la côte. Une douleur imaginaire suffit-elle donc pour la dispenser de ses principes ? Ne m’apprend-elle pas enfin qu’elle est aussi capable de tromper que moi ? Si nous occupions le premier corps de logis, et qu’il n’y eût point un passage pour arriver à la porte, elle m’échappait ; mais sa précipitation l’a trahie. Sally Martin, qui était dans un parloir du devant, frappée d’entendre une marche légère, et le frottement de quelque étoffe de soie contre le mur, a jeté les yeux dehors, et s’est avancée aussitôt entr’elle et la porte : " vous ne sortirez pas, madame ; permettez que je m’y oppose : vous ne devez pas penser à sortir. " de quel droit ? Comment osez-vous… car la chère personne prend quelquefois des airs impérieux. Sally s’est hâtée d’appeler sa tante. Aussitôt une demi-douzaine de voix se sont jointes à la sienne, pour me presser de descendre. Je m’occupais gravement à donner mes instructions à Dorcas, dans l’embarras où j’étais sur la matière d’une conversation dont elle devait être témoin. Les cris redoublés m’ont fait voler plutôt que descendre. J’ai vu la charmante Clarisse, l’aimable trompeuse , appuyée contre la cloison, son paquet à la main, (les femmes, Belford, ne sont jamais sans paquet dans leurs exécutions) et plus bas, à quelque distance, Polly, Horton, Mabel et Peter, deux domestiques du logis. La Sinclair et Sailly étoient entr’elle et la porte. Dans sa douce fureur, la chère ame répétait : je veux sortir ; personne ici n’a droit de m’arrêter : le supplice, la mort ne me feraient pas remonter. Aussitôt qu’elle m’a vu paraître, elle a fait un pas ou deux vers moi : Monsieur Lovelace, m’a-t-elle dit, je suis résolue de sortir. Est-ce de vous que ces femmes s’autorisent ? Quel est leur droit, quel est le vôtre pour m’arrêter ?