Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/384

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ici, après avoir ôté les miens ; il n’est pas besoin de salir l’appartement d’autrui : je vous suis dans un instant. Les deux femmes passèrent dans votre chambre. Au même moment, comme il faut le supposer, Miss Harlove se revêtit de la capote, du jupon et du tablier de Mabel ; elle descendit légèrement. Will et Dorcas n’ayant pas laissé d’entendre marcher dans le passage, avancèrent la tête, et lui virent prendre le chemin de la porte. Mais croyant voir Mabel : allez-vous bien loin, Mabel, lui cria Will ? Elle ne tourna point la tête ; elle ne répondit point : mais étendant le bras, elle montra l’escalier de la main ; ce que les autres prirent pour une exhortation à veiller dans son absence ; et s’imaginant qu’elle ne tarderait pas à revenir, parce qu’elle ne s’était pas expliquée plus formellement, Will monta sur le champ, et se tint sur le pallier pour attendre son retour. Mabel, agréablement occupée de son objet, laissa couler le temps sans attention : mais s’étonnant enfin de ne pas voir sa maîtresse, elle alla frapper doucement à sa porte ; et n’entendant personne, elle ne fit pas difficulté d’entrer. Will qui la vit de son poste dans les habits de sa maîtresse, fut d’autant plus surpris, qu’il croyait l’avoir vue sortir avec les siens. Déja parée de votre nouveau présent ! Lui dit-il. Comment avez-vous pu passer, sans que je me souvienne de vous avoir aperçue ? Et ne laissant pas de l’embrasser, je me vanterai, ajouta-t-il d’avoir donné un baiser à ma maîtresse, ou du moins à ses habits. Mabel, louant sa diligence à faire la garde, lui demanda s’il avait vu madame ? N’est-elle pas dans l’appartement de mon maître, répondit Will, et ne l’entendais-je pas à ce moment parler avec vous ? Non ; c’était une ouvrière qui m’ajustait cette robe. Tous deux demeurèrent la bouche ouverte, sur-tout Will, qui croyait avoir vu sortir Mabel dans ses propres habits. Tandis qu’ils se regardaient avec étonnement, Dorcas survint avec votre quatrième lettre, que votre courier venait de lui remettre pour sa maîtresse ; et voyant Mabel parée, après l’avoir vue quelques minutes auparavant dans un autre état, elle tomba dans la même admiration, jusqu’à ce que Mabel étant rentrée dans la chambre, et n’appercevant plus ses habits, commença sérieusement à se défier de la vérité. Elle communiqua ses soupçons aux deux autres, qui conclurent que leur maîtresse s’était échappée. Il s’éleva aussitôt entr’eux un bruit d’accusations et de reproches qui alarma toute la maison. Chacun se hâta d’accourir des deux corps de logis. Will raconta son histoire à l’assemblée ; et sans perdre un moment, il sortit, comme il avait déja fait dans la même occasion, pour aller demander à tous les cochers et les porteurs du voisinage s’ils avoient vu passer une dame dont la description n’était pas facile, avec la figure d’une reine et l’habit d’une servante. Dorcas se justifia sans peine, aux dépens de la pauvre Mabel, qui se voyant soupçonnée d’avoir reçu le prix de sa trahison, parut d’autant plus coupable, que sa contenance déposait contr’elle. La furieuse vieille, sans vouloir rien entendre pour sa défense, jura qu’elle en ferait un exemple terrible pour toutes les perfides qui se louaient avec une apparence de caractère, et qui n’ayant néanmoins aucun principe, n’étoient propres qu’à déshonorer une bonne maison. Elle fit appeler le cuisinier ; elle lui donna ordre de faire un grand feu, et de préparer le gril. Elle voulait, disait-elle, la mettre en pièces de ses propres mains avec le couperet de la cuisine, en faire une charbonnée à tous les chiens et les chats du quartier, et manger elle-même la première tranche. Je ne sais jusqu’où ce fol accès de rage aurait été poussé.