Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/385

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Mabel, à demi-morte de frayeur, promit un aveu sincère : mais lorsqu’elle eut obtenu la liberté de parler, cet aveu se réduisit à rien. Sally et Polly, après l’avoir chargée d’imprécations, entreprirent de l’examiner à part, pour se mettre en état de vous informer des circonstances. S’il manquait quelque chose à sa justification, ou si se trouvant coupable elle ne donnait pas quelques lumières pour retrouver une méchante dame, qui avait eu la noirceur de jeter toute la maison dans cet embarras, elles promirent de l’abandonner de bon cœur au gril et au couperet. Mabel, fort aise du répi, monta dans la chambre de sa maîtresse, où elle devait subir cet interrogatoire. Mais pendant quelques momens que les deux nymphes donnèrent à d’autres soins, elle prit une autre robe, et se glissant sur l’escalier, elle se sauva sans être aperçue. Cette fuite, qui ne me paraît venue que de sa terreur, a passé, suivant la méthode des tribunaux de justice, pour une confirmation de son crime. Voilà le détail que tu attendais, sans doute, avec impatience. Qu’il me tarde aussi de triompher, dans cette occasion, de tes emportemens et de ta furie ! Je te supplie, Lovelace, ne manque pas d’extravaguer glorieusement dans ta première lettre. Je regretterais beaucoup que tu ne fisses pas le furieux de bonne grâce. Mais, où l’infortunée Clarisse peut-elle avoir tourné ses pas ? Et quelle doit être sa triste situation ? Tes anciennes lettres me font supposer qu’elle doit avoir très-peu d’argent. Dans une fuite si prompte, elle n’a pu emporter d’autres habits que ceux qu’elle avait sur elle : et tu connais le cruel qui m’écrivait autrefois : " son père ne la recevra point. Ses oncles ne fourniront pas à son entretien. Sa Norton est dans leur dépendance, et ne peut rien d’elle-même. Miss Howe n’oserait lui donner un asile. Elle n’a pas un ami à Londres. C’est un pays étranger pour elle… ". Permets que j’ajoute : elle se voit dépouillée de son honneur, par l’homme en faveur duquel elle a fait tous ces sacrifices, et qui était engagé, par mille sermens, à lui servir de protecteur, de père, de parens et d’amis. Quelle doit être la force de son ressentiment, pour le barbare traitement qu’elle a reçu ! Qu’il est digne d’elle, d’avoir fait succéder la haine à l’amour, et plutôt que de se voir ta femme, d’avoir pris la résolution d’exposer sa disgrace à l’univers, de renoncer à tout espoir de réconciliation avec sa famille, et de courir mille hasards qui menacent son sexe, sa jeunesse et sa beauté ! Cependant j’ajouterai que, pour ton intérêt, comme pour le sien, je souhaiterais encore que cette funeste aventure pût se terminer par le mariage. C’est le seul tempérament qui puisse sauver votre honneur à tous deux. On peut espérer encore de dérober la connaissance du passé au public, à sa famille, et même à la tienne. Tu peux la dédommager de toutes ses souffrances, si tu te sens capable de devenir pour elle un mari tendre et complaisant. Est-ce ton intention ? Parle, explique-toi sans détour. J’accepte alors, avec des transports de joie, toutes les commissions qui peuvent te conduire à cette heureuse fin, et je n’épargne rien pour retrouver le précieux trésor que tu as perdu ; du moins si cette belle offensée veut souffrir les approches d’un homme qui fait profession d’amitié pour toi : et je ne crois pas que je puisse jamais te donner de plus grande preuve que je suis effectivement ton sincère ami. p s. les habits de Mabel ont été jetés ce matin dans le passage de la porte : personne ne sait par qui.



M Lovelace, à M Belford.

vendredi, 30 de juin. Je suis ruiné, perdu, anéanti ! Rien n’est si certain. Mais ton récit n’était-il pas assez accablant, sans y joindre de barbares reproches que tu n’as acquis le pouvoir de me faire que par mes propres communications, et dans un tems, sur-tout, où tu n’ignores pas combien j’ai d’autres combats à soutenir ? C’est un malheur aussi grand pour moi d’avoir connu Miss Harlove, que pour elle de m’avoir jamais souffert. Je ne puis te dissimuler que je suis percé jusqu’au fond du cœur par ce dernier… comment nommerai-je un si cruel sujet de désespoir ? Je tremble de fureur. Oh ! N’y aura-t-il personne que je puisse égorger à titre de négligence ou de trahison, pour calmer mes transports de fureur et de vengeance ?