Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/387

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multiplications de remèdes, de chasser un ennemi trop lent, du centre aux extrémités, où il s’est cantonné sur le gros orteil.

Sérieusement j’ai cru la possession commencée ; car j’avais déjà demandé quelques éclaircissemens aux gens d’affaires, qui me parlaient de sommes à recueillir, de renouvellement de baux, et d’autres soins de cette espèce. Tu ne t’imaginerais pas de quel œil indifférent tous les domestiques, et mes cousines même, me regardent depuis hier. Les révérences ne sont pas de moitié si profondes. On laissait quelquefois échapper le titre de milord. à présent, je suis redevenu M Lovelace. Ils ont même l’insolence de me féliciter sur le rétablissement du meilleur des oncles ; et je suis forcé d’en marquer autant de joie qu’eux.



Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

mercredi au soir, 28 de juin. ô ma très-chère Miss Howe ! Je suis encore une fois échappée. Mais, hélas ! Non, non, je n’ai pas eu le bonheur d’échapper. Ah ! Plaignez votre malheureuse Clarisse. Vous me haïrez vous-même. Je le crains, je le prévois. Cependant j’espère que vous ne me haïrez pas, lorsque vous serez informée de tout. Mais ne parlons plus de moi ; de moi, qui ne vis, qui n’existe plus. Vous, ma chère amie, qui pouvez vous lever le matin pour recevoir des bénédictions et pour en répandre ; qui vous retirez le soir, tranquille dans vos innocentes réflexions, et qui n’avez que de la douceur à goûter dans un sommeil paisible, vous ferez ma seule occupation, comme vous avez fait long-temps mon unique plaisir. Je révérerai de loin ma chère et respectable amie ; et j’honorerai dans elle ce que je me souviendrai toujours d’avoir été. Pardon, chère Miss Howe ! Ah ! Pardonnez l’égarement de ma plume. Mon repos est détruit par ses fondemens. Ma raison même est altérée. à combien d’idées mal conçues devez-vous vous attendre, si vous daignez, comme autrefois, m’accorder la faveur de votre correspondance ! ô ma très-chère, ma meilleure, mon unique amie ! Quel horrible récit ai-je à vous faire ! Mais je retombe encore sur moi : sur moi qui ne me dois plus que de la haine et du mépris ? Je me délivrerai de cette odieuse idée, si je le puis. Et pourquoi ne le pourrais-je pas, lorsqu’à l’exception d’un monstre inhumain, il me semble que je ne hais rien tant que moi-même ? Loin, loin toute idée propre (et je doute que j’aie long-temps à faire cet effort) pour m’informer uniquement du cher objet de mes affections, de ma tendre et bien aimée Miss Howe… dont l’ame pure, charmante… mais que veux-je dire encore ? Et comment mon esprit s’égare-t-il malgré moi ? En relisant ce que je viens d’écrire, je me déterminerais à déchirer ma lettre, si je craignais de vous laisser voir jusqu’où va le désordre de mon esprit. Comment vous portez-vous ? Je sais que vous avez été fort mal. Apprenez-moi, ma chère, si vous êtes bien rétablie, si votre mère est en bonne santé. Ne tardez pas, je vous en supplie, à me donner de si précieuses nouvelles. C’est une consolation que vous me devez ; car la vie, qui est, pour la plupart des humains, un état mêlé, une espèce d’échiquier, où le blanc et le noir sont alternativement en mesure égale, ne m’offre plus qu’une perspective de la plus affreuse couleur ; et votre seule amitié peut encore y jeter pour moi quelques rayons moins lugubres. Mais, à quoi bon toutes ces bizarres idées, lorsque je ne me propose que d’obtenir des nouvelles de votre santé par quelques mots que vous aurez la bonté d’adresser à Madame Rachel Clark, chez M Smith, marchand gantier dans Kings Street. Votre réponse, quoique ma demeure soit un secret pour tout autre que vous, me sera remise avec toute la sûreté que vous pouvez désirer, pour vous ouvrir librement à votre misérable amie.