Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/390

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que vous avez laissées sans réponse, excepté la première, à laquelle vous avez répondu en deux mots, sous prétexte de mauvaise santé ; quoiqu’un jour ou deux après avoir reçu la seconde, vous vous soyez assez bien portée pour retourner joyeusement dans l’infame maison ? Je ne passerai pas sans un peu plus d’explication sur ces trois lettres. Mais arrêtons-nous d’abord à la vôtre de mercredi dernier, que vous avez été bien aise apparemment de faire tomber entre les mains de ma mère. Je vous avoue que cette lettre fatale m’a percé le cœur. Grand dieu ! Dans quel abîme vous êtes-vous précipitée, Miss Clarisse ! Aurois-je pu croire qu’après vous être échappée avec tant de peine et de si justes raisons, des mains de votre persécuteur (depuis l’odieuse entreprise qu’il avait tentée), vous vous laissassiez engager, non-seulement à lui pardonner, mais à retourner avec lui dans cette horrible maison ? Une maison dont je vous avais si bien peint l’infamie ! Je ne reviens pas de mon étonnement. Quelle est donc l’ivresse de l’amour ? C’est ce qui m’a toujours fait trembler pour vous. Oui, pour vous-même. Je n’ai redouté pour vous que ce dangereux poison. vous n’avez pas eu le bonheur d’échapper ! eh ! Quelle autre espérance en aviez-vous pu concevoir ? vous avez un récit horrible à me faire ! il n’est pas besoin, ma chère, de me donner plus d’explication. Je vous aurais prédit tout ce qui vous est arrivé, si vous m’aviez seulement appris que votre dessein était de rentrer sous son pouvoir, après avoir eu tant de peine à vous en délivrer. votre repos est détruit par les fondemens ! je n’en suis pas surprise, puisque vous avez à vous reprocher une crédulité si mal entendue. votre raison même est altérée ! mon cœur saigne assurément pour vous : mais vous me pardonnerez, ma chère, si je doute que votre raison ait été tout-à-fait saine, lorsque vous avez pu quitter Hamstead. Avec la liberté de votre jugement, vous ne lui auriez jamais laissé découvrir votre retraite, et vous auriez encore moins consenti à retourner dans un lieu d’infamie. Je vous ai donc écrit trois lettres. La première est allée heureusement jusqu’à vous, puisque vous m’en avez assurée par quelques mots de réponse. Si vous n’aviez pas eu cette attention, je n’aurais pas été sans inquiétude pour ma propre sûreté ; car c’est dans cette lettre que je vous informais du caractère de votre demeure, et que je vous inspirais de si justes défiances du côté de votre Tomlinson, qu’il doit me paraître incroyable que vous ayez pu retourner dans cette maison après le bonheur que vous aviez eu d’en sortir. ô ma chère !… mais il n’y a plus rien à présent qui soit capable de me surprendre. Ma seconde lettre, en date du 10 de juin, vous fut remise en mains propres, à Hamstead, sur un lit de repos où vous étiez couchée, le visage enflammé, et dans un assez triste état, suivant le récit de mon messager. La troisième était datée le 20 de juin. N’ayant rien reçu de vous depuis votre billet d’Hamstead, j’avoue que, dans cette dernière lettre, je ne vous épargnais pas. Je m’étais servie de l’ancienne voie de Wilson, parce que je n’en avais pas d’autre : ainsi, je ne suis pas sûre que vous l’ayez reçue, et j’ai d’autant plus de raison d’en douter, que vous n’en parlez pas dans celle des vôtres qui est tombée entre les mains de ma mère. (si vous l’aviez reçue, je m’imagine qu’elle vous aurait trop touchée, pour être sortie de votre mémoire). Vous avez appris, dites-vous, que j’ai été malade. Il est vrai que j’ai été enrhumée ; mais si légérement, que je n’en ai pas gardé ma chambre. Je ne doute pas qu’on ne vous ait appris, qu’on ne vous ait raconté bien des choses singulières, pour vous porter à la démarche où vous vous êtes engagée. Jusqu’à cette démarche, j’entends celle de retourner avec votre infame, rien ne méritait plus de pitié que votre aventure. Vous auriez été justifiée dans l’esprit de tous ceux qui savaient avec quelle rigueur votre famille vous avait traitée, et qui connaissaient, d’ailleurs, votre prudence et votre circonspection. Mais, hélas ma chère, nous voyons qu’il faut se défier des plus sages, lorsque l’amour, comme un feu follet, présente à leurs yeux ses dangereuses lumières. Ma mère me dit qu’elle a fait réponse à votre lettre, pour vous prier de ne plus m’écrire, parce que votre situation m’afflige. Je suis affligée,