Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/391

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

n’en doutez pas ; vivement affligée, et trompée même dans mon attente ; car j’avais toujours cru qu’il n’y avait pas au monde, de femme telle que vous à votre âge. Mais je me souviens d’une réflexion que je vous ai entendu faire, sur un excellent prédicateur, dont la vie ne répondait pas à ses principes. L’art de prêcher, disiez-vous, et l’art de bien vivre, demandent des qualités tout-à-fait différentes, qui font le grand saint, lorsqu’elles se trouvent réunies dans un même sujet ; comme l’union de l’esprit et du jugement forme le grand génie. La chaleur de mon affection, et ma vive inquiétude pour votre honneur, me rendent peut-être un peu trop sévère. Si c’est le jugement que vous en portez, attribuez cet excès à sa véritable cause, c’est-à-dire, à cette affection même, à cette inquiétude, qui feront le malheur de ma vie, si l’avenir justifie mes craintes. Anne Howe. p s. ma mère ne s’en est fiée qu’à ses propres yeux. Elle a voulu faire elle-même la lecture de ma lettre. Ainsi, notre correspondance passée n’est plus un secret pour elle. Mais elle la trouve excusable. Elle s’en est toujours défiée, dit-elle, parce qu’elle connaît la force de mon amitié. L’intérêt qu’elle prend à votre situation va si loin, que, pour votre consolation, autant que pour la mienne, elle consent que vous m’écriviez tout ce qui s’est passé entre vous et le plus vil de tous les hommes, à la seule condition que toutes vos lettres lui seront communiquées. Je m’y suis soumise avec d’autant plus de joie, que cette communication ne peut tourner à votre désavantage. Vous pouvez donc m’écrire librement, et m’adresser directement vos lettres. Ma mère promet de me faire lire la copie de sa réponse, et votre réplique, dont elle ne m’avait point encore parlé. Elle se reproche déjà de vous avoir traitée trop sévérement. Mais elle craint que la vue de votre dernière lettre ne fasse trop d’impression sur moi. Cependant j’ai sa parole, dont je ne la dispenserai pas. Fasse le ciel, seulement, que vous puissiez nous éclaircir votre conduite depuis Hamstead ! Tout était noble jusqu’alors, prudent, généreux, irréprochable. Votre homme étoit un démon, et vous un ange. J’espère encore que les éclaircissemens seront dignes de vous, et je les attends avec une mortelle impatience. Ma lettre vous sera remise par un exprès, qui est chargé de recevoir vos ordres pour la réponse. Votre monstre pourrait découvrir vos traces par la poste, si vous n’y apportez pas les plus soigneuses précautions. De l’esprit, de l’argent, et de mauvaises inclinations rendent un homme dangereux pour le monde entier.



Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

jeudi, 6 de juillet. Personne n’a jamais éprouvé, comme moi, que le véritable bonheur ne consiste pas dans l’accomplissement de nos propres désirs. Que n’aurais-je pas donné, depuis quelques semaines, pour recevoir une lettre de ma chère Miss Howe, dont l’amitié faisait ma seule consolation ? Je ne m’imaginais guère que la première qu’elle me ferait la grâce de m’écrire, serait dans un style qui m’obligeât de jeter les yeux plus d’une fois sur son seing, pour m’assurer que les deux lettres qui le composent ne sont pas le commencement d’un autre nom : car assurément, me disais-je à moi-même, ce style est celui de ma sœur Arabelle. Assurément Miss Howe, quelques reproches qu’il lui plût de me faire sur d’autres points, ne remettrait pas avec tant d’aigreur devant les yeux de son amie, des expressions échappées dans l’amertume de son cœur et dans le désordre de son esprit ; elle ne lui rappellerait pas si durement, et même avec un mêlange de raillerie, une réflexion qu’elles peuvent avoir faites ensemble, dans un temps de joie et de prospérité, lorsqu’il y avait si peu d’apparence que cette réflexion pût jamais tourner contr’elle. Mais, dans la misérable situation où je suis réduite, sans bien, sans honneur (car il m’importe peu qu’on le sache, lorsque je le sais moi-même), sans amis, sans espérance, me convient-il de me plaindre d’une chère amie, parce qu’elle n’a pas pour moi plus de bonté qu’une sœur ? Hélas ! Je ne m’aperçois que trop, à l’amertume des sentimens qui s’élèvent dans mon ame, que je ne suis point encore assez soumise à ma condition. Ce n’est pas sur votre indulgence passée, c’est sur ce que je mérite aujourd’hui, que je devais régler mon attente. Disparoissez, tristes restes d’une fierté qui ne me convient plus. Je m’efforcerai, ma chère, de faire la réponse que vous me demandez. Elle sera si longue, que je n’espère pas de pouvoir vous l’envoyer demain par votre messager : mais il m’assure qu’il peut l’attendre jusqu’à samedi. C’est donc pour samedi, que je vous promets toute l’histoire de mon infortune. Cependant je ne réponds pas de pouvoir me justifier sur toutes les circonstances. Pendant une partie du tems où ma conduite vous paraîtra mériter quelque censure, je n’étais pas à moi-même ; et jusqu’aujourd’hui, je ne sais pas encore toutes les méthodes qu’on a cruellement employées pour ma ruine.