Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/421

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donner avis d’une bassesse que vous n’approuviez pas ! Mais je vois qu’entre les hommes, la ruine d’une fille innocente est un mal plus léger, que l’infidélité pour le coupable secret d’un ami ". Après cette sévère, mais juste réflexion, j’aurais voulu passer la ligne suivante, quoique j’en eusse lu les premiers mots sans y faire attention ; mais elle m’a forcé d’achever. que ne donnerais-je pas aujourd’hui pour t’avoir écouté ?

voici sa remarque : " ainsi, monsieur, vous voyez que, si vous aviez servi heureusement à prévenir le malheur dont j’étais menacée, vous en recevriez aujourd’hui les remerciemens de votre ami. C’est une satisfaction qui sera toujours la récompense de celui qui a la force de prévenir où d’arrêter le mal. Je suis obligée, sans doute, à votre intention. Mais vous vous êtes fait une loi d’honneur du secret ; une loi d’autant plus étroite, apparemment, que le secret vous a paru plus noir. Cependant, permettez-moi de souhaiter, M Belford, que vous deveniez capable du plaisir d’une amitié vertueuse . Il n’y en a pas d’autre qui mérite ce nom sacré. Vous paraissez d’un bon naturel ; j’espère, pour votre propre intérêt, que vous en éprouverez quelque jour la différence ; et, lorsque vous serez à ce point, souvenez-vous de Miss Harlove, qui s’est vue la plus heureuse personne de son sexe par le mérite et la vertu de ses amis, jusqu’au moment où sa mauvaise fortune lui en a fait un du vôtre ". Elle a tourné la tête, pour me cacher apparemment ses larmes. Lorsque tu me recommandes de t’informer du traitement qu’elle a reçu ; et que tu ajoutes : malheur à ceux qui auront eu l’audace de la maltraiter !

son indignation s’est allumée tout d’un coup. " quoi ! Monsieur, m’a-t-elle dit, vous n’êtes pas effrayé de sa propre audace ? Est-ce à lui de punir celle d’autrui ? Tous les mauvais traitemens que j’ai pu recevoir dans cette occasion, n’auraient pas approché de ceux… elle s’est arrêtée ici quelques momens… cependant qui le punira lui-même ? Effronté scélérat ! Lui seul apparemment est en droit d’outrager l’innocence. Il fait, sur la terre, le rôle des ministres infernaux, qui est d’exercer leurs punitions sur les méchans dont ils sont les chefs ". Mes réflexions sont devenues ici fort sombres. Qu’ai-je fait ? Me suis-je dit à moi-même. Ce caractère sauvage m’accusera, sans doute, de l’avoir trahi, en lisant une partie de sa lettre à son juge. Cependant, mon pauvre Lovelace, si tu en es fâché, je crois qu’en bonne justice tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même. Qui croirait que, pour diminuer tes fautes, et pour donner des preuves de ta sincérité, je n’aie pas dû communiquer quelques endroits les plus favorables d’une lettre que tu n’as écrite à ton ami que pour le convaincre de ton innocence ? Mais un mauvais cœur et une mauvaise cause sont d’étranges sources d’embarras. Ainsi, que chaque inconvénient, je t’en prie, soit rapporté à son véritable point. Je me suis bien gardé de lire la belle commission que tu me donnes, de maudire tes femmes une heure entière ; et les noms de dragons et de serpens dont tu les honores, quoique rien ne leur convienne mieux. Si je m’étais arrêté à cet endroit, on m’aurait dit, avec raison, que tu connaissais de tout temps le caractère de ces infames créatures ; infame que tu es toi-même, d’avoir conduit la vertu et la pureté dans ce détestable cloaque ! Je commençais à faire une nouvelle apologie pour tant de passages que j’étais obligé de supprimer ; mais on m’a dit enfin : " c’est assez, monsieur, c’est assez. Votre ami est un très-méchant homme. Je comprends qu’il voulait établir sur moi son pouvoir à toute sorte de prix ; et ses actions ne m’ont que trop appris l’usage qu’il en aurait fait. Je suppose que vous connaissez son vil Tomlinson. Je suppose… mais que servent les discours ? Jamais il n’y eut d’exemple d’un cœur si faux, et d’une trahison si préméditée. (je t’avoue, Lovelace, que je le pense comme elle). Quels sermens ne m’a-t-il pas faits ? Quelles ruses n’a-t-il pas inventées ? Et dans qu’elle vue ? Uniquement pour ruiner une jeune et malheureuse fille dont il devait être le protecteur, et qu’il avait privée lui-même de toute autre protection ". Elle s’est levée ici. Elle a tourné la tête, en portant son mouchoir à ses yeux. Je suis demeuré en silence, pour lui laisser le temps de se soulager. Après avoir été quelques momens dans cette posture, elle s’est assise,