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Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/422

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en me regardant d’un air plus tranquille. " je me flatte, m’a-t-elle dit, de parler à un homme qui a le cœur mieux placé. Je vous rends grâces, monsieur, des obligeans, quoique inutiles efforts que vous avez faits en ma faveur, soit qu’ils soient venus de votre pitié seule, ou de votre goût pour la vertu, ou peut-être de ces deux motifs ensemble. Ils ont été sans effet. Peut-être n’ont-ils pas été assez pressans ; et je n’en accuse que moi-même. Je ne méritais pas, dans votre opinion, la peine qu’il vous en eût coûté pour me sauver. J’ai pu vous paraître une créature étourdie, qui s’était dérobée à ses vrais amis, à ses protecteurs naturels, et qui devait par conséquent essuyer toutes les suites de sa témérité ". Je t’aurais mal servi, en lui apprenant quelle force j’ai toujours mise dans mes représentations et dans mes instances. Mais je l’ai assurée que j’avais embrassé sa cause avec zèle, sans autre motif qu’un mérite auquel je n’avais jamais rien connu d’égal ; que je ne pensais pas à te défendre, mais que tu n’avais jamais cessé de rendre justice à sa vertu ; que c’était la force de cette conviction, qui causait aujourd’hui tes regrets, et qui te faisait désirer, avec une passion si vive, de te voir en possession d’un si précieux trésor… j’allais continuer. Elle m’a coupé la voix. " c’en est trop, m’a-t-elle dit, sur un sujet auquel je devais moins m’arrêter. Si votre ami veut m’accorder la grâce de ne jamais paraître devant moi, c’est tout ce qui me reste à lui demander. Comptez, monsieur, que jamais, jamais je ne le reverrai, si je puis l’éviter sans avoir recours aux voies criminelles du dernier désespoir ". Que pouvais-je répondre ? Il n’aurait pas été prudent de toucher la même corde. Peut-être me serais-je attiré la défense absolue, non-seulement de lui parler de toi, mais de me présenter jamais à sa porte. Je me suis réduit à lui proposer indirectement des secours pécuniaires. J’ai oublié de te dire qu’à l’endrait de ta lettre où tu m’ordonnes de lui faire accepter tout l’argent que je pourrais rassembler, elle avait répété plusieurs fois, d’un ton fort vif : non, non, non, non. Je n’ai pas eu la hardiesse de lui renouveler ouvertement cette proposition, et mes termes ont été si obscurs, qu’elle a pu feindre de ne pas m’entendre. En vérité, je ne connais personne au monde, que je fusse plus fâché d’avoir offensé. Elle a, dans ses manières, une si véritable dignité, sans aucune teinture de cet orgueil ou de cette arrogance qu’on est tenté de mortifier lorsqu’on croit les découvrir ; l’œil si perçant, et tellement adouci néanmoins par des rayons de bonté, qu’elle impose également le respect, la tendresse et l’admiration. Il me semble que j’ai une sorte de saint amour

pour cette femme angélique ; et c’est un de mes étonnemens, que tu aies pu conserver tes noirs desseins, après avoir conversé un quart-d’heure avec elle. Gardée, comme elle étoit, par la piété, la prudence, la vertu, la dignité, la naissance, la fortune, et par une pureté de cœur que je crois sans exemple, il n’y a qu’un vrai démon qui ait pu entreprendre de forcer tant de barrières. Cependant tu l’as fait, et je suis persuadé que ton orgueil s’en applaudit. Pour moi, je reconnais de plus en plus que je ne devais pas me contenter d’élever ma voix, et de prendre parti, par mes reproches, contre tes viles intentions. à la vérité, il m’est venu plus d’une fois à l’esprit de tenter quelque chose en sa faveur. Mais, imbécille que je suis ! De fausses notions d’honneur, comme elle a droit de me le reprocher, ont toujours eu la force de me retenir ; parce que je ne devais la connaissance de tes vues qu’à tes communications volontaires. D’ailleurs, dans la maudite maison où tu l’avais menée, et veillée, comme elle étoit, par toi-même et par tes agens infernaux, je me suis figuré, te connaissant comme je fais, que le fruit de mes soins n’eût été que de hâter sa ruine. Je puis ajouter que, te voyant quelquefois effrayé par la vertu, arrêté par tes remords, et prêt, en apparence, à lui rendre justice, j’étais porté à me persuader que la force de son mérite triompherait à la fin de la corruption de ton cœur. C’est mon opinion, si tu persistes dans le dessein de te marier, que tu n’as rien de mieux à faire que de lui procurer la visite de tes tantes réelles et de tes cousines, et de les engager à plaider pour toi. Dans ces circonstances, il est à craindre qu’elles n’aient quelque éloignement pour une visite. Mais leurs lettres, du moins, et celles de Milord M, soutenues par les sollicitations de Miss Howe, peuvent opérer quelque chose en ta faveur. Cependant c’est une simple espérance, qui n’est fondée que sur mes désirs. Je crois, au fond, que Miss Harlove préférerait la mort à toi. Les deux femmes qui la gardent sont persuadées, sans connaître la moitié de ses peines, que la douleur a déjà fait son office ; c’est-à-dire, que les principes de sa vie sont altérés sans ressource. En prenant congé d’elle, je l’ai suppliée de ne pas épargner mes services, et de permettre que je m’informe souvent de sa santé. Elle m’a