Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/467

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tous prisonniers, pendant que je suis le maître dans la maison. Plaisans visages, d’oser quereller avec moi, lorsqu’il me suffit de paraître pour leur faire tourner le dos, et pour les faire rentrer dans leur tanière, les yeux et les oreilles baissés.

Toi, dans le temps que je soutiens ainsi la guerre contre des frêlons et des guêpes, et que la rage de l’amour méprisé fait bouillir mon sang dans mes veines, tu te plais dans ton flegme, et tu bâtis des systêmes de réformation, au mépris de mes infortunes, dont tu as la cruauté de te faire un triomphe. Que le diable t’emporte, insensible et fade complaisant que tu es ! Tu me causes autant d’impatience que la belle ; car tu ne connais ni l’amour ni l’amitié. Tu n’es pas capable de l’un, ni digne de l’autre. Autrement, te réjouirais-tu de mes peines, sous les fausses grimaces de la pitié ? Mais, parle ; n’es-tu pas un joli personnage, de t’être engagé à transcrire une partie des lettres que j’ai eu la simplicité de t’écrire dans la confiance de l’amitié ? Des lettres ! Tu aurais dû laisser couper ta maudite langue, plutôt que d’avouer jamais que tu les eusses reçues. Cependant, peut-être les as-tu déjà remises entre ses mains ! Prends garde ; et malheur à toi, si l’avis arrive trop tard ! Prends garde, te dis-je, de lui abandonner une seule ligne de moi. Si tu t’es déjà rendu coupable d’une infidélité si noire, je te déclare que la moindre vengeance que j’en veux tirer, est de rétracter la parole que je t’ai donnée de ne pas la voir, comme tu as violé la tienne, en communiquant ce que tu n’avais reçu que sous le sceau de l’amitié. Je suis trop malheureusement convaincu, par sa lettre à Charlotte, qu’elle est déterminée à ne me revoir jamais. Elle nomme ma conduite avec elle, une méchanceté sans exemple. Mais comment sait-elle si bien ce qui mérite ce nom ? Où a-t-elle appris à faire des distinctions dans ce genre ? Penser le pire, être capable de former des comparaisons sur des situations si délicates, est-ce marquer autant de délicatesse que je lui en attribuais ? Ce que je me figure à son avantage, c’est que, n’ignorant pas que le diable est noir, et voulant faire un diable de moi, elle broie, dans son imagination, elle pétrit ensemble tout ce qu’il y a de noir au monde, pour faire sortir de cette sale masse le plus horrible de tous les monstres. Mais quelle tempête son mépris n’excite-t-il pas dans mon ame ? Jamais, jamais l’orgueil d’un homme ne fut plus mortifié ! Qu’elle me rabaisse, jusqu’à mes propres yeux ! Comment est-il possible que l’admiration et l’amour résistent dans mon cœur à cette épreuve ? De la haine ! Du mépris ! Un refus solemnel ! Si le succès avait répondu à tous mes desseins, je trouverais peut-être de la justice dans une partie de ses ressentimens. Mais être sortie victorieuse, triomphante, sous toutes sortes de faces… ah ! C’est pour l’avoir souffert qu’elle me doit du mépris. Elle m’a laissé si humilié, si méprisable en effet, que l’impression lui en demeure encore. Je me poignarderais volontiers, de ne lui avoir pas donné sujet… ; en un mot, de n’avoir pas su l’humilier elle-même ; ou plutôt, cher ami, de n’avoir pas profité de son retour à la ville, pour me relever de mon humiliation, et pour m’exalter jusqu’au sommet du bonheur et de la gloire, en me donnant une femme supérieure à toutes sortes d’épreuves et de tentations.

Cependant je veux hasarder encore une lettre. Si je n’en tire aucun fruit, ou si je n’obtiens pas de réponse, je m’efforcerai de la voir, quelles qu’en puissent être les suites. Si son obstination lui fait trouver le moyen de m’éviter, je signalerai ma vengeance par quelque attentat éclatant contre sa Miss Howe, et je quitterai pour jamais l’Angleterre. à présent, Belford, puisque tu es dans le goût de lui communiquer mes lettres, fais lui cette déclaration, si tu veux. Ajoute que, s’il est certain qu’elle m’abandonne, il ne l’est pas moins que je serai abandonné du ciel.



M Lovelace à M Belford.

lundi, 7 août.

Il est donc vrai que tu as remis, à la belle implacable, un extrait des lettres que tu as reçues de moi dans la confiance de l’amitié ! Belford, prends-y garde. Je t’aime assurément plus qu’aucun homme du monde : mais le point où nous sommes, est plus délicat que tu ne penses. Cette affaire est devenue très-sérieuse pour moi. Je suis résolu d’épouser Miss Harlove ; et je l’épouserai, fût-ce au dernier soupir de sa vie.

Elle compte, dis-tu, sur la parole que je t’ai donnée de ne pas la chagriner. Tu peux lui déclarer de ma part, que c’est un point qui dépend absolument d’elle-même, c’est-à-dire du parti qu’elle prendra, de faire réponse à ma lettre, ou de la payer du méprisant silence dont il lui a déjà plu d’honorer mes dernières. J’écrirai d’un ton si humble, et