Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/472

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Milord, m le docteur, Madame Greme, leur ai-je dit, vous m’avez cru jusqu’aujourd’hui un fort mauvais garnement. Mais voyez ; je puis vous faire une lecture aussi pieuse que vos prières. Ils se sont regardés avec étonnement. J’ai bâillé et j’ai lu : ils m’ont prodigué leurs louanges et leur admiration ; ils ont levé les mains et les yeux au ciel, et le docteur a dit qu’il avait toujours regardé comme une chose impossible, qu’un homme d’esprit tel que moi fût aussi méchant qu’on le publioit. Milord, bégayant de joie, m’a félicité de ma conversion ; et, grâce à ma chere Miss Harlove, je me suis fait une excellente réputation à peu de frais. En un mot, me voilà bien établi dans le château et dans toute la paroisse. Mais que vois-je ? Je n’en suis pas quitte encore.

C’est une visite des deux sœurs Montaigu, conduites par mon oncle, pour me féliciter tout à la fois, de mon rétablissement et de ma réformation. Quel heureux évènement que cette maladie, et les méditations qui se sont trouvées dans ma poche ! C’est ainsi qu’étant écolier, je me joignais à ceux qui sortaient de l’église, pour faire croire que j’y avais été moi-même.

Ma charmante se trompe, lorsqu’elle s’imagine que je lui ai proposé de m’écrire, comme une alternative qui la garantirait de ma visite. C’est un mal qu’elle n’évitera point, et dont je n’ai pensé à l’exempter qu’autant qu’elle m’aurait fait une réponse conforme à mes espérances. Fais-lui relire ma lettre ; je ne lui ai pas fait cette promesse. En dépit d’elle et de toi, je serais à ses pieds, demain au plus tard, si je n’étais pas retenu par les talons, comme un misérable qui n’a point de secours à tirer de lui-même. Mais je commence à me trouver mieux d’heure en heure. Tu me verras bientôt à Londres, n’en doute pas. Cependant n’en dis rien à ma chère, à ma cruelle et implacable Miss Harlove.

Adieu, Belford. Je bâille encore. Quelle étrange figure tu verrais faire à ton Lovelace !



M Belford à M Lovelace.

lundi, 14 d’août.

ta maladie me cause la plus vive inquiétude. Je serais au désespoir de te perdre : cependant, si tu dois mourir si-tôt, je souhaiterais de toute mon ame que ta mort fût arrivée avant le mois d’avril ; et cela, pour ton intérêt autant que pour celui de la plus excellente de toutes les femmes, puisque ta conscience n’aurait pas été chargée du crime le plus noir de ta vie.

On me dit avant-hier que tu étais fort mal ; et cette nouvelle m’a fait remettre à t’écrire jusqu’à d’autres éclaircissemens. Mon laquais me confirme, en arrivant, que tu es dans un état fâcheux. Tu feins de l’ignorer : est-ce à moi de te l’apprendre ? C’est une fièvre violente, me dit-on, accompagnée des symptômes les plus dangereux.

Dans la situation où tu es, je ne te troublerai point par le récit de ce qui se passe ici avec Miss Harlove. Puissent tes repentirs être aussi prompts que ta maladie, et n’être pas moins efficaces, si tu meurs ! Car il est à craindre qu’elle et toi, vous ne vous rencontriez jamais dans le même lieu.

Je lui ai dit que vous étiez fort malade. Pauvre homme ! A-t-elle interrompu. Dangereusement malade, dites-vous ?