Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/490

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et ce maudit Belford causeraient des vapeurs à l’homme le plus robuste.

J’ai continué d’assister le malade pendant tout le jour, et quel spectacle ne m’ont pas donné ses agitations ? Il me conjure à chaque instant de ne le pas quitter : mais, hélas ! Que puis-je faire pour lui ? Si le glorieux exemple de Miss Harlove et les terreurs de ce malheureux ami n’avoient pas la force de me toucher, je me croirais aussi abandonné que je crains que tu ne le sois, si tu ne tires aucun fruit de ces deux exemples.

Mowbray, fatigué de ne voir que de la tristesse autour de lui, se détermine à t’aller joindre à Londres. Il a paru charmé d’apprendre que ta santé t’avait permis de faire le voyage, apparemment pour avoir un prétexte de nous quitter.

Il vient de prendre congé du pauvre Belton ; un congé, qui sera probablement de longue durée, car je ne m’attends pas que notre ami puisse vivre jusqu’à demain au soir. Je crois que ce pauvre homme n’aurait pas été fâché de le voir partir à mon arrivée : et dans le fond, c’est un choquant personnage, qui jouit d’une santé trop vigoureuse, pour être capable d’entrer dans les peines d’un malade. Il n’est pas aisé à l’ame, pour employer une de tes expressions, d’aiguiser des organes de cette force et de cette épaisseur. Sa constitution et celle de l’ami dépravé qu’il va joindre, vous promettent à tous deux une vie également longue, du moins si l’épée ou la corde n’en abrègent pas le cours.

Je dois te répéter, Lovelace, que je ne puis être que fort alarmé pour le malheureux objet de tes cruelles persécutions, et que je ne pense point que tu aies rempli avec moi un engagement d’honneur. J’avais prévu qu’aussitôt que tu serais rétabli, tu entreprendrais de la voir. Je l’en avais avertie, sous prétexte de la préparer à cette visite ; et je n’avais rien épargné pour l’engager à te recevoir. Elle m’a répété constamment que, pour le monde entier, elle n’y consentirait pas, ne lui demandât-on qu’un quart-d’heure. Si j’avais pu la fléchir, je suis persuadé que tu ne te serais pas défendu de la plus vive émotion, à la vue de l’aimable squelette (car, avec sa figure et ses traits, elle ne cessera jamais d’être aimable) que tu as fait, en si peu de tems, du plus charmant ouvrage qui soit jamais sorti des mains de la nature ; et cela dans la pleine fleur de sa jeunesse et de sa beauté. N’attache pas à ton songe aussi peu de poids que tu l’affectes. Je souhaiterais qu’il te demeurât gravé au fond du cœur ; et j’y donnerais facilement une interprétation qui te choquerait peut-être. Demande-la moi, si tu l’oses.

Une excellente action, à laquelle je t’exhorte, ce serait de venir voir pour la dernière fois ton ami mourant ; de venir partager mon inquiétude pour lui, et considérer, dans son exemple, quel sera tôt ou tard ton sort, le mien, celui de Mowbray, de Tourville, et de tous nos associés.



M Lovelace à M Belford.

mercredi, 13 d’août.

Tout est vivant, cher Belford ! Tout est ranimé par la joie et l’espérance. Ton ami se flatte encore d’être heureux. J’ai reçu une lettre de ma chère Miss Harlove, qui est, je suppose, l’effet des avis de sa sœur, dont je te parlais dans ma dernière. Dans le transport de ma joie, je pars sur-le-champ pour Berckshire. Je vais la faire lire à milord, et recevoir les félicitations de toute ma famille. Hier au soir, je me rendis chez Smith, comme je me l’étais proposé : mais la chère personne n’était pas revenue à dix heures. J’allai prendre Tourville, qui vint passer une partie de la nuit avec moi, et que je fis chanter, pour charmer ma migraine. Je me mis au lit à deux heures. Mes songes ont été légers, agréables, et fort différens de ceux dont je t’ai fait le récit. Ce matin à huit heures, lorsque