Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/498

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crains que dans quinze jours ou trois semaines le monde ne perde son plus parfait ornement.

Quinze jours ou trois semaines, monsieur !… mais que la volonté du ciel soit remplie ! J’aurai donc plus de temps que je n’en ai besoin, pour exécuter ce que je me suis proposé ; du moins, si je conserve quelque force de corps et d’esprit.

Son cœur se satisfit encore par des effusions de reconnaissance ; après quoi, priant le médecin de lui procurer certaines gouttes, qui servaient, lui dit-elle, à ranimer ses esprits lorsqu’elle se trouvait trop abattue, elle nous demanda la liberté de passer dans son cabinet pour écrire quelques lettres.

Le médecin se retira. Je rejoignis les femmes de la maison, et j’appris d’elles que Madame Lovick devait lui apporter aujourd’hui vingt-cinq guinées, sur quelques nouvelles pièces de sa garderobe. Elles me dirent qu’ayant pris la liberté de lui faire un reproche de cette facilité à se défaire de ses habits, avec tant de désavantage, et sans qu’elle parût pressée d’argent, elle leur avait fait une réponse fort étrangère. Après sa mort, aucun de ses amis ne ferait usage de ses robes. Elle avait d’ailleurs quantité de choses plus précieuses à laisser : " à l’égard du besoin qu’elle avait d’argent, elle voulait bien leur confier qu’elle était résolue d’acheter une maison ".

Une maison, madame ? Répliqua Madame Lovick. Je ne comprends pas quel est votre dessein.

" je vais donc m’expliquer, reprit-elle. Ce n’est point une femme, c’est un homme que j’ai choisi pour l’exécution de mon testament ; et croyez-vous que je veuille lui laisser aucun soin qui regarde ma personne ? Vous me comprenez à présent ".

Madame Lovick se mit à pleurer. Des larmes ! Lui dit cette admirable fille, en les essuyant de son propre mouchoir, et l’honorant d’un baiser ; pourquoi cette obligeante foiblesse en faveur d’une étrangère, avec laquelle vous vous êtes liée si nouvellement ? Chère et bonne Madame Lovick, ne vous alarmez point d’un objet dont je m’entretiens avec complaisance.

Ainsi, Lovelace, il est trop clair que la maison qu’elle veut acheter est son cercueil. Quelle présence et quelle fermeté d’esprit, quelle tranquillité de cœur, dans les occupations les plus funestes ! Voilà ce qui mérite le nom de grandeur d’ame. Toi, moi, avec notre vaine bravoure, et ce faux courage, qui n’est réel que pour offenser, serions-nous capables d’une constance si noble ? Pauvre Belton ! Quelle différence entr’elle et vous !

Madame Lovick m’a dit qu’elle lui avait parlé d’une lettre qu’elle a reçue, pendant mon absence, du docteur Lewin, son ministre favori, et d’une réponse qu’elle s’est hâtée de lui faire. Mais elle ignore le sujet de l’une et de l’autre.

La longueur de celle-ci m’oblige de remettre à demain mon départ pour Epsom. Elle te forcera de reconnaître qu’elle sera bientôt la conclusion de tes outrages contre la plus divine de toutes les femmes. Mais je veux différer quelque temps à te l’envoyer, de peur que, sous prétexte de faire tes plaintes de l’erreur où l’on t’a jeté, tu n’en prennes occasion de renouveler tes importunes visites.

J’aurais dû vous dire que Miss Harlove a pris soin de m’expliquer quel est cet unique sujet de chagrin pour lequel elle se défie de ses forces. C’est le résultat qu’elle appréhende d’une visite que le colonel Morden est dans le dessein de vous rendre.