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Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/559

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me voir, les paroles devaient faire place à l’action. Votre choix, M Lovelace, pour le tems, le lieu et les armes, sera le mien. Sur les deux derniers points, M Morden, il dépendra de vous-même ; le tems, ce sera, s’il vous plaît, demain ou le jour d’après. Après demain donc, monsieur ; et nous monterons demain à cheval, pour fixer le lieu.

D’accord, monsieur.

Dites, M Lovelace, quel choix faites-vous pour les armes.

Je lui dis que l’avantage devait être égal, en nous servant de nos épées ; mais que, s’il en jugeait autrement, je n’avais pas d’objection contre le pistolet.

Je vous ferai remarquer seulement, répliqua-t-il, que le hasard serait peut-être plus égal à l’épée, parce que nous devons être également accoutumés à la manier ; je craindrais qu’il ne le fût un peu moins au pistolet. Cependant, je n’ai pas laissé d’en apporter deux, dont vous auriez le choix. Mais je dois vous avertir qu’à la distance ordinaire, je n’ai jamais manqué un but, depuis que je me connais.

J’applaudis à sa générosité ; mais je lui répondis aussi-tôt que j’entendais assez l’usage de cette arme, pour ne pas la refuser, s’il la choisissait, quoique je ne me crusse pas aussi sûr que lui de ne pas manquer un but. Cependant, ajoutai-je en souriant, comme il m’est arrivé quelquefois de fendre une balle en deux sur le tranchant d’un couteau, il serait malheureux, colonel, que je manquasse mon homme : ainsi, monsieur, je n’ai point d’objection contre le pistolet, si c’est votre choix. Personne, j’ose le dire, n’a l’œil et la main plus fermes que moi.

L’un et l’autre, monsieur, vous seront utiles, à l’épée comme au pistolet. Ce sera donc l’épée, s’il vous plaît.

De tout mon cœur.

Nous nous quittâmes avec une sorte de civilité majestueuse.

Aujourd’hui, ma visite a prévenu la sienne ; et nous sommes sortis à cheval pour convenir du lieu. Nos sentimens étant les mêmes, n’aimant point à remettre au lendemain ce qui pouvait être décidé sur le champ, nous serions descendus aussi-tôt. Mais La Tour et le valet du colonel, qui nous suivaient tous deux, et que nous n’avions pu éviter de mettre dans le secret, se sont joints pour nous demander la permission d’avoir le lendemain avec eux un chirurgien. Ils se sont chargés de l’engager à sortir de la ville, sous le prétexte d’une saignée qu’ils lui proposeront dans une cabane voisine, et de l’amener assez proche de nous, pour être appelé au besoin, sans qu’il se défie du ministère auquel il doit être employé. La Tour étant, comme je l’ai dit au colonel, un garçon fort adrait, auquel j’ai donné ordre de lui obéir comme à moi-même, si le sort se déclare en sa faveur, nous sommes convenus de remettre la décision à demain, et d’abandonner tout ce qui regarde le chirurgien à la discrétion de nos valets. Ensuite nous sommes rentrés dans la ville par des chemins différens.

Le champ que nous avons choisi est un vallon écarté. Le temps sera dix heures du matin ; et le signal, ou le mot, l’ épée simple.

Cependant j’ai répété à M Morden que cette arme m’était extrêmement familiere, et que je lui conseillais de faire tout autre choix. Il m’a répondu que c’était l’arme d’un gentilhomme, et que celui qui n’en connaissait pas l’usage,