Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/560

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

manquant d’une qualité nécessaire, en devait porter la peine ; mais que pour lui toutes les armes étoient égales.

Ainsi, Belford, vous voyez que je n’ai voulu prendre aucun avantage. Mais je suis bien trompé, si demain, avant onze heures, ce brave ennemi ne reçoit pas la vie ou la mort de mes mains.

Son valet et le mien doivent être présens ; mais avec l’ordre le plus absolu, comme vous n’en doutez pas, de demeurer dans l’inaction. En revanche, pour une civilité de la même nature, le colonel a commandé au sien de m’obéir, si la fortune est pour moi. Nous devons nous rendre à cheval au lieu du combat ; une chaise, qui sera prête à quelque distance, conduira le vainqueur sur les terres de Venise, si l’un des deux périt, ou servira, suivant l’occasion, à secourir le plus malheureux. Tels sont nos arrangemens. La pluie ne m’ayant pas laissé d’autre amusement que ma plume, je t’ai fait cette longue lettre ; quoique je pusse aussi bien remettre à t’écrire demain à midi ; car je ne doute pas que je ne me trouve en état de t’assurer que je suis, avec tous les sentimens que tu me connais pour toi, etc.

Lovelace.



La Tour à M Belford.

à Trente, 19 décembre.

Monsieur,

j’ai de tristes nouvelles à vous communiquer par l’ordre de m le chevalier Lovelace, qui a rendu le dernier soupir entre mes bras. Il m’avait fait lire sa dernière lettre, par laquelle il vous informait qu’il devait terminer le lendemain sa querelle avec le colonel Morden. Vous savez si bien le sujet de ce différent, que vous n’attendez pas de moi d’autres lumières.

J’avais pris soin d’amener, à peu de distance, un chirurgien à qui j’avais confié le fond des circonstances sous le serment du secret, quoique je me fusse bien gardé de l’avouer aux deux combattans. Il était fourni de bandages et des instrumens de sa profession ; car, si je connaissais parfaitement le courage et l’adresse de mon maître, je n’avais pas entendu moins vanter le caractère de son ennemi ; et je savais quelle était leur animosité mutuelle. Une chaise de poste était prête à cent pas. Les deux adversaires arrivèrent à l’heure dont ils étoient convenus, sans autre suite que M Margate, valet de chambre du colonel, et moi, que m le chevalier avait honoré du même rang à son service. Ils nous répétèrent l’ordre qu’ils nous avoient donné la veille, d’observer entre eux une exacte neutralité ; et si l’un des deux périssait, ils nous firent jurer de regarder tous deux le survivant comme notre maître, et de respecter ses volontés. Après quelques complimens, ils se dépouillerent de leurs habits avec une tranquillité surprenante, et mettant l’épée à la main, ils se portèrent plusieurs bottes qui nous firent admirer leur présence d’esprit et leur adresse. Mon maître fut le premier qui tira du sang, par un coup désespéré dont son adversaire devait être percé à jour, s’il ne s’en était garanti par un mouvement si heureux, qu’il ne le reçut que dans la partie charnue du côté droit ; mais ayant pris m le chevalier sur le tems, il le blessa sous le bras gauche, assez près de l’épaule ; et l’épée, qui effleura