Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/562

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adressait des expressions fort tendres à quelque femme, qui était apparemment la même Clarisse qu’il avait nommée en recevant le coup mortel. Il l’appelait fille excellente ! Divine créature ! Malheureuse innocente ! Je lui entendis répéter particulièrement : jetez les yeux sur moi, bienheureux esprit ! Daignez jeter les yeux sur moi. Il s’arrêtait après ces quatre mots ; mais il continuait de remuer les lèvres.

à neuf heures du matin, il fut saisi de convulsions violentes ; et perdant tout-à-fait la connaissance, il demeura dans cet état plus d’un quart d’heure. Lorsqu’il revint à lui-même (je ne dois pas oublier ses dernières paroles, qui semblent marquer un esprit plus composé, et qui peuvent être par conséquent de quelque consolation pour ses amis) : quelles grâces je dois… prononça-t-il distinctement, en s’adressant sans doute au ciel, car il y tenait les yeux levés ; mais une forte convulsion ne lui permit pas d’achever. Ensuite, revenant à lui, il recommença les mêmes mots avec beaucoup de ferveur, les yeux levés encore, et les deux mains étendues. Ils furent suivis de quelque apparence de prières prononcées d’une voix intérieure, qui ne laissait rien entendre de distinct. Enfin, j’entendis clairement ces trois mots, qui furent les derniers : reçois cette expiation. Alors sa tête s’étant enfoncée dans son oreiller, il expira vers dix heures et demie. Hélas ! Il ne se croyait pas si proche de sa fin ; aussi n’a-t-il donné aucun ordre pour sa sépulture. Je l’ai fait embaumer, pour attendre les volontés de sa famille, et j’ai obtenu que le corps fût déposé dans un caveau. C’est une faveur qu’on ne m’a pas accordée sans peine, et qu’on m’aurait peut-être refusée, malgré la distinction de sa naissance, dans un temps où la nation angloise serait moins respectée du gouvernement autrichien. J’ai trouvé aussi quelques difficultés de la part du magistrat, sur la cause de sa mort ; il en a coûté de l’argent pour arrêter les informations. Mais c’est un récit que je remets au premier ordinaire, avec le compte des effets de mon maître, qui seront représentés fidèlement. J’attends vos ordres dans cette ville, et j’ai l’honneur d’être, monsieur, votre, etc.

Latour.

conclusion.

on croit devoir ajouter quelques éclaircissemens à ce recueil de lettres historiques, pour la satisfaction de ceux qui ont pris un peu d’intérêt à la fortune des principaux acteurs.

La nouvelle du malheur de M Lovelace fut reçue, dans sa famille, avec autant de douleur, qu’elle causa de joie dans celle des Harlove. Milord M et les dames de sa maison étoient d’autant plus à plaindre, qu’après avoir déjà beaucoup souffert de l’injustice de leur neveu pour une personne qu’ils avoient sincèrement admirée, ils voyaient croître leurs peines, par la perte du seul héritier mâle de leur fortune et de leur nom. Au contraire, les Harlove, plus implacables que jamais, et Miss Howe même, dans le vif ressentiment qu’elle conservait de la mort de son amie, triomphèrent d’un événement où la main du ciel paroissait marquée pour leur vengeance. Mais cette consolation fut passagère, du moins pour la famille des Harlove, qui trouvèrent toujours un sujet de trouble et de remords dans leur ancienne conduite.