Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/66

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Madame Sinclair est venue à l’instant, et m’a demandé si je sortirais sans avoir pris le chocolat. Ce que je souhaiterais, lui ai-je dit, c’est que vous voulussiez engager M Lovelace à le prendre avec vous ; j’ignore si j’ai la liberté de sortir sans sa permission : et me tournant vers lui, je l’ai prié de m’apprendre si j’étais ici sa prisonnière. Dorcas lui ayant, à l’instant, apporté son épée et son chapeau, il a lui-même ouvert la porte ; et, pour toute réponse, il m’a pris la main, malgré ma résistance, et m’a conduite fort respectueusement au carrosse. Les passans m’ont paru s’arrêter avec quelques marques de surprise. Mais il est d’une figure si gracieuse, et toujours mis si galamment, qu’il attire sur lui les yeux de tout le monde. Je souffrais de me voir exposée aux regards. Il est monté dans le carrosse après moi, et le cocher a pris le chemin de Saint-Paul. Il n’a rien manqué à ses attentions dans le voyage et pendant l’office. Je me suis tenue dans la plus grande réserve ; et sans m’expliquer davantage, à notre retour, je me suis retirée dans ma chambre, où j’ai dîné seule, comme j’avais fait pendant la plus grande partie de la semaine. Cependant, lorsqu’il m’a vue dans cette résolution, il m’a dit qu’il continuerait à la vérité de garder un respectueux silence, jusqu’à ce que je fusse informée du succès de mes démarches ; mais qu’ensuite je devais m’attendre qu’il ne me laisserait pas un moment de repos, jusqu’à ce que j’eusse fixé son heureux jour ; pénétré comme il était jusqu’au fond du cœur, de mon humeur sombre, de mes ressentimens et de mes délais. Le misérable ! Lorsque je puis lui reprocher, avec un double regret, que le sujet de ses plaintes vient de lui-même ! Ah ! Plaise au ciel, que je reçoive d’heureuses nouvelles de mon oncle ! Adieu, très-chère amie. Cette lettre attendra l’arrivée de votre messager ; et celle qu’il m’apportera de vous en échange décidera sans doute de mon sort.



miss Howe, à Madame Norton.

jeudi, 12 de mai. Ne pourriez-vous, ma bonne Madame Norton, sans m’en attribuer le dessein, à moi qui suis haïe dans la famille, trouver quelque moyen de faire savoir à Madame Harlove, que, dans une compagnie où le hasard nous a fait rencontrer, vous m’avez entendu dire " que ma chère amie languit de se voir réconciliée avec ses proches ; que, dans cette espérance, elle a refusé jusqu’à présent de prendre les moindres engagemens qui pourraient être un obstacle ; qu’elle voudrait éviter de donner à M Lovelace le droit de chagriner sa famille, par rapport à la terre de son grand-père ; que tout ce qu’elle demande encore est la liberté de vivre fille, et qu’à cette condition, elle soumettra sa conduite et son bien à la volonté de son père : que M Lovelace et tous ses amis la pressent continuellement de conclure son mariage ; mais que je suis sûre qu’elle a si peu de goût pour cette alliance, à cause de ses mœurs et de l’aversion qu’elle connaît pour lui à tous les Harloves, qu’avec un peu d’espérance de réconciliation, elle cesserait d’y penser, pour se jeter uniquement sous la protection de son père : mais que leur résolution ne doit