Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/69

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Mais nous pensions qu’il y avait plus à craindre de marquer de l’aveuglement et de l’affectation, en refusant nos louanges aux apparences d’un mérite si distingué, que de nous attirer un reproche d’orgueil et de partialité, en louant ce qui nous appartenoit. Ainsi, lorsqu’on nous félicitait d’avoir une telle fille, nous recevions ce compliment sans le trouver excessif. Si l’on admirait notre bonheur, nous convenions que jamais parens n’avoient été plus heureux dans une fille. Si l’on observait particulièrement le respect qu’elle avait pour nous, il est vrai, disions-nous, qu’elle ne sait pas manquer au devoir. Si nous entendions dire que Clarisse avait de l’esprit et de la pénétration fort au-delà de son âge, au lieu de rabaisser son esprit, nous ajoutions que son jugement n’était pas moins extraordinaire. Si l’on faisait l’éloge de sa prudence, et de cet esprit réfléchi qui suppléait en elle au défaut des années et de l’expérience, nous répondions, avec une sorte de vanité : Clarisse Harlove est en état de donner des leçons à tout le monde. Pardonnez, ma chère Norton, ah ! Pardonnez la tendresse d’une mère. Mais je sais que vous aurez cette indulgence pour moi. Cet enfant était aussi le vôtre, tandis qu’il n’y avait rien à lui reprocher. Il faisait votre gloire comme la mienne. Mais n’entendiez-vous pas les étrangers, lorsqu’ils la voyaient aller à l’église, qui, s’arrêtant pour l’admirer, la traitaient de créature angélique ; pendant que ceux de qui elle était connue, croyaient avoir dit assez, en répondant que c’était Miss Clarisse Harlove ; comme si tout le monde eût été obligé de connaître Miss Clarisse Harlove, ou d’avoir entendu parler d’elle et de ses perfections. De son côté, accoutumée dès l’enfance à ce tribut de louanges, l’habitude en était trop familière pour lui faire changer quelque chose à sa marche ou à ses regards. Pour moi, je ne pouvais me dérober un plaisir qui avait peut-être une vanité coupable pour fondement, lorsqu’on me parlait ou qu’on s’adressait à moi comme à sa mère. M Harlove et moi, nous sentions croître notre affection l’un pour l’autre, en nous applaudissant de la part que nous avions eue à cet admirable ouvrage. Encore, encore un peu d’indulgence pour ces tendres effusions d’un cœur maternel ! Je pourrais m’attacher éternellement au souvenir de ce qu’elle était : que ne puis-je écarter de mon esprit ce qu’elle est devenue ! Dans un âge si tendre, je pouvais déposer toutes mes peines dans son sein, sûre de trouver, dans sa prudence, du conseil et de la consolation, et l’un et l’autre insinués d’une manière si humble, si respectueuse, qu’il étoit impossible d’y remarquer la moindre de ces indiscrétions que la différence des années et du caractère, entre une mère et une fille, aurait pu faire appréhender de toute autre enfant. Elle faisait notre gloire au-dehors, et nos délices dans l’intérieur de la maison. Entre ses parens, chacun était passionné pour sa compagnie. Ils se la disputaient entr’eux. Son père et moi, nous ne l’accordions qu’à regret à ses oncles et à sa tante : et s’il s’élevait quelque différent dans la famille, c’était à l’occasion de ses visites, et du temps qu’elle devait passer chez l’un ou chez l’autre. Jamais elle n’a reçu de nous d’autres marques de mécontentement ou d’humeur, que celles des amans ; c’est-à-dire, des reproches tendres, lorsqu’elle s’enfermait trop long-temps pour ces charmantes et utiles occupations