Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/79

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Il s’est étendu assez long-temps sur la même idée. Vous jugez, ma chère, qu’il m’a donné vingt sujets de récrimination. Je ne l’ai point épargné. Mais il serait inutile de vous répéter tous les chefs. Chacun de ces points, lui ai-je dit, n’était propre à me convaincre que de sa fierté. Je lui ai confessé que j’en avais autant que lui, mais d’une espèce différente ; et j’ai ajouté que s’il entrait dans la sienne le moindre mélange d’une véritable fierté, d’une fierté digne de sa naissance et de sa fortune, il souhaiterait plutôt d’exciter la mienne, que de la combattre ou de s’en plaindre : que c’était elle qui m’avait fait regarder comme au-dessous de moi de désavouer mes motifs, lorsque depuis quelques jours j’avais évité tout entretien avec lui, et lorsque j’avais refusé la visite de M Mennell, pour ne pas tomber sur des points dont la décision n’était pas en mon pouvoir, jusqu’à la réponse que j’attendais de mon oncle : enfin, qu’il était vrai que je l’avais fait sonder, dans l’espérance d’obtenir sa médiation, pour me réconcilier avec ma famille, à des conditions que je lui avais fait proposer. Il ne savait pas, m’a-t-il répondu, s’il pouvait prendre la liberté de me demander quelles étoient ces conditions : mais il ne lui était que trop aisé de les pénétrer, et de juger même quel devait être le premier de mes sacrifices. Cependant, je lui permettrais de dire qu’autant qu’il admirait la noblesse de mes sentimens en général, et, en particulier, cette véritable fierté que je venais d’expliquer, autant il souhaiterait qu’elle fût assez uniforme pour m’élever au-dessus de la soumission que je rendais à des esprits implacables, comme elle me mettait au-dessus de toute sorte d’indulgence et de faveur pour lui. Le devoir de la nature, monsieur, me fait une loi des soumissions que vous me reprochez. Un père, une mère, des oncles, voilà ce qui justifie ces soumissions. Mais, de grâce, monsieur, qu’auriez-vous à dire pour ce que vous appelez de la faveur et de l’indulgence ? Ferez-vous valoir ce que vous avez mérité d’eux et de moi ? Hélas ! Qu’entends-je ! S’est-il écrié : après leurs persécutions ! Après tout ce que vous avez souffert ! Après ce que vous m’avez permis d’espérer ! Nous parlions de fierté ; permettez que je vous demande, chère miss, quelle serait la fierté d’un homme qui dispenserait la personne qu’il aime, de l’honorer de quelqu’inclination et de quelque préférence ? Quel serait un amour… un amour, monsieur ! Qui parle d’amour ? N’en étions-nous pas à ce que vous avez mérité ? Vous ai-je jamais marqué, vous ai-je jamais demandé quelque chose qui ressemble à l’amour ? Mais ces débats ne finiraient point : si irréprochables l’un et l’autre, si pleins de nous-mêmes… je ne me crois pas irréprochable, non, madame : mais… mais, quoi, monsieur ! Aurez-vous toujours recours à des subtilités ? Chercherez-vous des excuses ? Ferez-vous des promesses ? Et quelles promesses, monsieur, celle d’être à l’avenir ce qu’on doit rougir de n’avoir pas toujours été ? Grand dieu ! A-t-il interrompu, en levant les yeux vers le ciel, si ta bonté te permettait d’être aussi sévère… fort bien, fort bien, ai-je repris impatiemment ; il me suffit d’observer combien la différence de nos idées fait espérer peu de rapports dans nos caractères. Ainsi, monsieur… qu’allez-vous dire ? Ah ! Madame… vous jetez un trouble dans mon