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nous autres gueux


Ils ont bu le désir qui trouble,
La foi pour qui tout est quitté,
L’orgueil âpre qui fait voir double,
L’idéal et la liberté.

Ils ont bu, bu à pleines lèvres,
Bu à pleins yeux, bu à pleins cœurs,
Cet alcool qui guérit leurs fièvres :
L’assurance d’être vainqueurs.

Ces bavards, qui semblent des drôles,
Mâcheurs de mots, sculpteurs de bruit,
Ces cabotins jouant leurs rôles
Sur les quais déserts dans la nuit,

Ces loqueteux qui par la fange
Traînent leurs pieds las et raidis,
Et près des tonneaux de vidange
Parlent tout haut du Paradis,

Ces gueux qui d’espoir vain se grisent,
Ces fantoches, ces chiens errants,
Seront peut-être ce qu’ils disent,
Et c’est pour cela qu’ils sont grands.

Qui sait ? ces formes peu vêtues
Qui grelottent au vent d’hiver,
Seront peut-être des statues
Immobiles sous le ciel clair.