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la fin des gueux

Faisait une besogne à vous troubler les yeux.
Il avait ramassé, parmi les tombes vertes,
Les pommes de sapin dont elles sont couvertes ;
Dans les petits enclos ravagés et fouillés,
Il avait pris les bois des croix les moins mouillés ;
Puis, pour faire son feu se construisant un âtre
Avec des os pour pierre et du sable pour plâtre,
Il avait en chenets appuyé contre un mur
Deux tibias posés en travers d’un fémur ;
Et, comme s’il était l’esprit du cimetière,
Il se chauffait, assis sur le dos d’une bière.

— Eh ! là-bas, cria-t-il, en voyant mon effroi,
Que fais-tu, camarade ? Il fait noir ; il fait froid ;
Approche donc ! Voici la lumière et la flamme.
Je ne suis pas un spectre, un revenant, une âme.
Si tu veux regarder, tu seras convaincu
Que je suis un vivant qui se chauffe le cul. —

Quand on est seul on tremble ; à deux, toute peur tombe.
Donc, franchissant la haie, enjambant une tombe,
Je fus bientôt assis, les pieds près des tisons.

— Çà, me dit-il alors en souriant, causons !
De quel métier es-tu ? — Du métier de poète. —

Le vieux me contempla, triste. Puis, dans sa tête
Il rumina longtemps tout bas je ne sais quoi,
Avec un air navré qui me rendait tout coi,
Il semblait accablé de souvenirs moroses,