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les gas

En lançant ce couplet où déjà monte et roule
Le râle rauque et sourd dont se gonfle la houle.
Car il souffle dans la chanson, plus fort, plus dru,
Le maudit vent du nord, le sacré vieux bourru ;
Et les flots flagellés, qu’il rebrousse au passage,
Se cabrent contre lui, lui crachent au visage,
S’enflent, bondissent, fous, et viennent dans leurs sauts
Jusqu’au milieu du pont dégorger leurs naseaux
En secouant, épars, leurs crins aux mèches vertes.
Le bateau coupe en deux leurs poitrines ouvertes,
Ou les chevauche, grimpe aux croupes des plus hauts,
Puis dans des entonnoirs retombe, et les cahots
Le déhanchent, comme un qui chute d’une échasse.
Maintenant, c’est compris : le grain nous fait la chasse.
Il faut, sans qu’il nous prenne en biais, filer devant,
Sur un tout petit bout de toile dans le vent.
Le ciel se grée en nuit, d’une nuit sans chandelle ;
Et sur ce grand mur noir passent à tire-d’aile
Des nuages blafards, déchiquetés aux flancs,
Où le bec des éclairs ouvre des accrocs blancs.
L’averse tombe en fouet aux lanières étroites.
La mer est comme un champ de lames toutes droites.
Cargue ! Amène ! Encor ! Tout ! Plus de toile au bateau !
Les ris à l’Irlandaise, aïe ! à coups de couteau !
En lambeaux arrachés le dernier foc s’envole.
La baume en deux ! Le mât craque. La barre est folle.

Le vent du nord vint à souffler,
Le vent du nord vint à souffler.