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les gas

Elle avait refusé, pauvre, qu’il profitât
De l’école gratuite où sont pris par l’État
Les orphelins des gens de mer morts au service.
Qu’il y fût élevé pour devenir novice,
Oh ! non, jamais ! Lui, lui, courir les flots hideux !
Non, pas de ça ! Plutôt crever de faim tous deux !
Car sa folie était contre la mer. En elle
C’est comme une ennemie atroce et personnelle
Qu’elle voyait. La mer était quelqu’un, pour sûr.
Avec des cris d’orage et des rires d’azur.
Elle la détestait du profond de son âme,
Et ne se gênait pas pour le dire à l’infâme
Qu’elle venait toujours aux heures de gros temps
Lapider de galets et de mots insultants.
Elle y menait l’enfant, et là, fauve, hagarde,
Dans le fracas du flux elle clamait : — Regarde !
C’est celle-là qui prend les hommes, les maris.
Les pères, les fils, tout ! C’est elle qui t’a pris
Ton père après m’avoir pris le mien, la méchante.
Oh ! n’écoute jamais, petit, ce qu’elle chante.
C’est une gueuse, c’est une sorcière. Un jour
Elle t’appellera pour lui faire l’amour.
Car elle appelle ainsi tous les mâles sur elle,
La maudite putain, la vieille maquerelle.
Elle t’appellera doucement, par ton nom,
En faisant pst ! pst ! Dis, tu lui répondras non,
Mon gas ? Tu n’iras point là-bas comme les autres.
Tu lui diras d’abord de te rendre les nôtres,
Et qu’elle est une gouine, et le vent un bandit,
Et que c’est moi, ta grand’mère, qui te l’ai dit.