Page:Richepin - La Mer, 1894.djvu/282

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
268
la mer

Fait de l’eau croupissante et des arbres en pleurs,
C’est ainsi que par toi s’annonce la saline.
Mais allons, et du haut de la dune en colline
Silencieusement regardons-la dormir.
Mirage ! Sahara ! Les Bédouins ! Un émir
Est venu planter là ses innombrables tentes
Dont les cônes dressés en blancheurs éclatantes
Resplendissent parmi les tons bariolés
De tapis d’Orient sur le sol étalés.
Ces cônes sont les tas de sel sur les ladures ;
Et ces riches tapis aux brillantes bordures
Ne sont que les côbiers, les fares, les œillets,
Où l’évaporement laisse de gras feuillets
Métalliques, moirés, flottant, d’or et de soie.
Par l’étier et le tour qu’un paludier fossoie
La mer entre, s’épand, s’éparpille en circuits,
Puis arrive aux bassins, étangs cuits et recuits
Par le soleil pompant leur liquide substance.
L’eau-mère peu à peu s’épaissit en laitance
Visqueuse, lourde, ainsi qu’une fonte d’argent.
D’abord une huile rose y monte en surnageant.
Elle élargit bientôt les franges de sa tache.
Elle fonce, jaunit, se cuivre. Il s’en détache
Comme des yeux voguant en tourbillon léger
Qui l’un à l’autre vont lentement s’agréger,
Passant par les lueurs changeantes de l’opale,
Pour se fixer et faire une croûte d’or pâle.
L’or pâlit chaque jour, puis durcit en cristaux
Qui semblent des grêlons ternes. Mais les râteaux
Râclent dans les œillets la moisson blanche et dure