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les grandes chansons

Suivre les éléments dans leurs métempsychoses
Sous les êtres divers qu’ils font et qu’ils défont.
La surface nous plaît, mais plus encor le fond.
Et laissant les rêveurs aboyer aux étoiles,
Laissant les descriptifs colorier leurs toiles,
Nous estimons que pour chanter ce tout vivant
C’est peu d’être poëte, il faut être savant.
C’est ainsi que pensaient d’ailleurs aux premiers âges
Nos aïeux, à la fois des chantres et des sages,
Poëtes, certes, mais philosophes aussi,
Vyasa, Valmiki dans l’Inde, Firdousi
Dans la Perse, Hésiode, Orphée, Homère en Grèce,
Et parmi les Latins Virgile après Lucrèce.
De la science obscure ils mettaient les secrets
Dans leurs vers ciselés en précieux coffrets.
Tout resplendissants d’or, tout parfumés d’essences.
Le rhythme est le meilleur gardien des connaissances.
Et peut-être qu’un jour d’autres humanités,
En fouillant les débris qui furent nos cités.
Ne sauront le Credo dont notre âge s’honore
Que par quelque poëme à la rime sonore.
Je suis un songe-creux ? Peut-être. En attendant,
Mes frères, travaillons dans cet espoir ardent.
Ne nous attardons pas aux phrases pour les phrases.
Oui, diamants, rubis, saphirs et chrysoprases,
Employons-les pour en illuminer les mots.
Et que nos vers soient des joyaux, soient des émaux,
Soient des flacons brodés d’arabesques fleuries ;
Mais dans ces beaux flacons aux flancs de pierreries
Versons, comme faisaient les sages nos aïeux,